Auto critique


« J’ai honte de notre impuissance, de la honteuse impuissance des chrétiens devant le péril qui menace le monde. »

Bernanos, janvier 1940.


Dans un texte écrit en 1978 et repris dans Trois tentations dans l’Église, Alain Besançon reprochait à Bloy, Péguy, Bernanos d’avoir été emportés par « la dérive “sectaire” de l’Église française » [1], qu’avait accentuée la séparation de l’Église et de l’État. Trop étrangers aux puissances établies, ils n’incitèrent pas les chrétiens à s’y impliquer davantage, ils préférèrent à la bonne société la compagnie des marginaux, cultivèrent ce christianisme rustique et revanchard qui met un frein dans le cœur des fidèles à l’attrait de ce que Alain Besançon appelle « toutes les aménités de la civilisation »… La tentation romantique et ségrégative du catholicisme français au XIXe siècle – effet du désastre plus ancien de la pensée chrétienne ou cause persistante de ce désastre – se trouvait par eux comme redoublée. Ils symbolisent cette déroute : « Ayant perdu successivement la raison et la société, c’est-à-dire la nature, la pensée catholique a perdu ses repères. Aussi porte-t-elle ses regards vers un au-delà qui postule l’éclatement de la raison, la fin de cette nature et la dissolution de cette société, au-delà qu’elle confond avec l’eschatologie et qui est en fait une eschatologie pervertie. C’est ainsi que naît, avec Léon Bloy, Péguy, Bernanos, l’équivalent d’un dostoïevskisme français… ».

L’inventaire des malheurs de l’Église est certain, mais Alain Besançon ramène à une « eschatologie pervertie » la tradition agonistique de l’esprit français, et confond son « mépris exaspéré du bourgeois » inattentif et cruel avec le culte forcené du marginal : « Si dans la foule immense des pauvres, ce sont les marginaux qui bénéficient d’un tel attrait, ce n’est pas seulement parce qu’ils sont subversifs par rapport à la société, mais parce qu’ils ne sont pas compromis avec elle par une insertion quelconque. Ce qui les rend enviables, c’est leur situation désincarnée, (…) comme s’ils étaient des êtres angéliques, débarrassés des contraintes du corps, capables seulement d’une apparence de péché, la responsabilité de celui-ci incombant tout entière à la société » [2].

L’attitude de Pascal était simple : « J’aime les pauvres parce qu’Il les a aimés ». Qui peut honnêtement en dire plus ? Cette attitude suffit à faire de soi un marginal, plus ou moins, d’où peut naître, dans l’adversité, le besoin de s’épauler que l’on appelle fraternité – voilà pour cet « attrait ». Dans le bouleversement entraîné par la pensée de la transcendance absolue, les chrétiens eurent besoin de la sévérité des mœurs anciennes pour ne pas divaguer ou rester subjugués comme après l’Ascension, le regard seulement tourné vers le ciel. Une chrétienté vigoureuse parvenait à calmer les forces de distraction du christianisme lui-même. À côté des moines qui bâtissaient les prieurés [3], la haute silhouette du chevalier devint le symbole de ce monde à la fois spirituel et charnel : la parole d’honneur, la faculté de se projeter au loin, le regret de la vie domestique, l’errance des périodes creuses – c’était une création française : « Chevalerie d’abord ! Cela est français ! La chevalerie était la grande création française chrétienne, à mon avis la seule ! » [4]

Cette impulsion profonde, d’où jailliraient aussi la courtoisie et la dévotion sensuelle de la France pour le mystère de la femme, et à la fin la cavalière de Domrémy – était si peu « désincarnée » que beaucoup y perdirent corps et biens, et que les plus prudents parmi eux, un Joinville par exemple, inventèrent cette autre spécialité française, les regrets. On aurait peine à trouver dans leur écho aux temps modernes, chez Bernanos par exemple qui ne croyait qu’en la responsabilité virile et politique, cette envie d’innocence que repère Besançon à la racine du mal français ; ou chez Péguy « cette condamnation de la vie sociale », lui qui ne croyait qu’au labeur de constituer « une amitié ; et une cité » [5]. Quant aux « êtres angéliques, débarrassés des contraintes du corps », je pense que Bloy, dont deux enfants étaient morts à cause de l’insalubrité des taudis qu’il louait, les repérait plutôt au sourire poli et indifférent de ses propriétaires.

Puisqu’il faut des explications d’historien, ne peut-on rattacher simplement la sévérité prophétique de ces auteurs au gauchissement des événements avant 1914 ou 1940 : comme au XIe ou XIIe siècle, est-ce qu’il ne se passait rien ?

La pensée élégante et puissante de Besançon paraît se maintenir trop à la surface de ce qu’exige l’économie du salut : la complémentarité radicale des hommes libres avec les pauvres, du peuple avec le prêtre, des lettrés avec les besogneux… La reconnaissance de « la vie sociale » comme « expérience sensible du néant du monde et de la réalité du monde » [6], ne doit pas faire oublier d’autres types de misères également instructives, toujours à notre portée ; « le monde n’est jamais si réel que lorsqu’on en a perçé le néant », mais jurons qu’il n’y a pas que les salons et les couloirs pour cela, et cette « lutte politique, âpre, astucieuse, pleine de malices, de stratagèmes, de calculs, mais qui n’avait aucune raison, considérée dans son ordre, d’inspirer le dégoût » [7]. Si quelques êtres doués d’esprit chevaleresque n’étaient pas descendus un peu bas par passion d’imiter leur maître aussi jusqu’au dégoût, que saurions-nous de la pauvreté muette ? Érik Satie dans sa déréliction avait imaginé pour eux cette « Congrégation des Pauvres chevaliers de la sainte Cité : Ordre religieux et militaire, institué par de pieux squelettes dans le but de défendre la chrétienté et de protéger les églises. Les Pauvres chevaliers maintiennent la paix publique et la religion et connaissent de tous les crimes qui peuvent troubler l’une ou l’autre… » Ne faisons pas les délicats ! et n’attendons pas comme Platon que l’on contraigne les philosophes à faire carrière en politique, mais plutôt exhortons les à chérir assez la Sagesse pour ne pas craindre de plonger les mains dans le cambouis – ou comme Thomas dans ses plaies.

Le terrible est la manière dont le néant exerce sur nous sa réelle tyrannie… C’est vrai, le combat de nos Pauvres chevaliers n’eut pas l’assentiment des banques, et ils gardèrent ce dédain de l’argent que la morale de leurs prédécesseurs prescrivait – mais ce ne fut pas par angélisme, ni à cause de cet « esprit d’abstraction, proche de celui de la cruauté », que Pierre Boutang au contraire reproche à leurs ennemis : la plus radicale abstraction reste l’évitement de la souffrance par l’argent – sinon à quoi sert-il ? Le succès qu’il signale, les liens subtils qu’il distend autant et plus qu’il ne les tisse ne sont pas seulement ce qui permet d’agir donc d’échapper quelque temps au néant, mais justement aussi par là ce qui protège, c’est-à-dire ce qui coupe le plus efficacement de certaines réalités pathétiques ici-bas dont les auteurs montrés par Besançon, ces pieux squelettes, au lieu de les refuser comme chacun, s’efforcèrent de reconnaître quelquefois l’origine mystérieuse.

La représentation du monde est faite par une poignée. Comment admettre qu’elle détienne également et dicte seule la doctrine qui demeure la seule consolation des pauvres ? Est-ce cela l’humilité ? Disons qu’il peut y en avoir ici aussi. Mais si l’on a abouti dans le monde euro-bourgeois d’aujourd’hui « à disqualifier le politique comme tel, à rêver d’un monde organique, non conflictuel, où la politique cesserait d’être une dimension inséparable de l’humaine condition », ce n’est quand même pas la faute de Péguy, Bloy, Bernanos…

Besançon reconnut dans une certaine mesure le caractère rapide et inexact de son appréciation. Dans la réédition de ce texte en livre de poche presque vingt-cinq ans après, il corrige un peu ses propos sur Péguy : « grand et complexe écrivain qui méritait des jugements moins sommaires. Mon excuse est qu’il a été souvent invoqué pour justifier une antichrématistique et surtout un nationalisme mal venus ». Dans notre ligne de pensée il n’y a aucune antichrématistique – « c’est du sang et c’est un corps juifs qui se trouvent sur l’autel », expliquait Léon Bloy – et je ne vois toujours pas ce que le « nationalisme » inspiré de Péguy aurait de « mal venu » : après 1940 on ne peut plus en faire grief à qui que ce soit, Vichy en ayant manqué cruellement. La « révolution nationale » sous la botte de l’ennemi, en réduisant comme lui à des caractères inamovibles et grossiers la consistance organique de la nation façonnée par l’histoire, cultiva le même mépris de la réalité et mena au désastre. Alain Besançon ne veut pas voir d’ailleurs que l’idée nationale, sa force de résistance, sa mesure politique sont loin d’être inutiles contre les trois tentations que décèle son analyse des dérives dans l’Église. « La tentation anti-démocratique », « la tentation démocratique » et la « tentation de l’islam », tentations ecclésiales, mettent aussi en péril l’existence nationale. Pour se succéder ou se combiner toutes les trois dans l’Église de France, elles doivent s’emparer du tissu politique si précieusement maintenu à travers les querelles et les guerres religieuses ou idéologiques, le déchirer, lui imposer ces considérations étrangères ou contraires à sa tâche d’exister, nier ce que la vocation universelle de la France fille aînée de l’Église, ou l’Église, ont toujours reconnu. Le corps mystique du Christ n’est pas d’abord une doctrine mais une réalité que l’histoire a traduite dans chaque langue nationale au fur et à mesure qu’elle les suscitait. L’affaiblissement ou la dissimulation de ce lien singulier entre existence religieuse et histoire politique a éloigné la nation du souci de sa vocation, et de creuser celle-ci en interrogeant sa propre réalité : c’est ainsi qu’elle la perd – et se perd. C’est la perception « mystique » de cette réalité-là qui paraît secondaire chez Alain Besançon, et qui manque à sa pensée ample mais sommaire, comme il le reconnaît lui-même, sommaire surtout avec les vaincus de l’histoire… « Nous sommes des vaincus », dit Péguy.

S’il est possible d’écrire : « dans la démocratie, (…) la relativité de la vérité, sa réduction à l’opinion, l’affadissement progressif de l’opinion créent un vide métaphysique qui fait souffrir l’homme moderne, et, s’il ne le fait pas souffrir, le diminue et le mutile, ce qui est pire », comme Besançon le fait très bien, « ce qu’ont vu et dénoncé des esprits aussi différents que Tocqueville, Flaubert, Nietzsche, ou Péguy » – il n’est pas difficile d’y inclure aussi Bloy et Bernanos. Tout ce que l’on peut dire contre cette tradition de pensée-là, c’est que l’opposition avancée par Péguy entre mystique et politique fut plutôt malheureuse – ainsi que Boutang l’avait fait remarquer [8]. Sur ce point Alain Besançon a raison : « Les deux ordres doivent être distingués, mais pas dissociés » [9] – mais je crois justement que c’est le souci distinctif de cette famille d’esprits, nos Pauvres chevaliers – et Péguy en témoigne, malgré la lettre – de charger l’exercice de nos responsabilités politiques (donc nos devoirs à l’égard de la nation) de toute l’intensité qui procède de la métaphysique et de l’histoire. Leur eschatologie n’avait rien de « pervertie » (ou Jeanne d’Arc l’était-elle ?) seulement la loyauté qu’ils mettaient en toute chose leur interdisait de prêter au drame politique de leur temps les caractères de la vraie Politique – autoritaire, balbutiante, décidée, hésitante, indépendante mais liée à ce sens supérieur de la réalité de la nation que l’on peut appeler « mystique ». Et c’est justement parce que Alain Besançon le dédaigne qu’il confond nos auteurs avec des bretteurs de salon, des imprécateurs d’arrière garde, des partisans de bonbonnière, et ne perçoit dans leur prise de distance qu’une posture esthétique, une sorte de détachement facile, alors qu’elle est une interpellation brûlante et obstinée, une ruse du cœur autant que de la raison…

Besançon, c’est un paradoxe, ne reconnaît aucune valeur à leur apostolat laïque. Évoquant Marcel Proust, il écrit : « il était baptisé, il avait fait sa première communion, il avait défendu l’Église dans les attaques anticléricales et il voulut que sur son lit de mort on mette entre ses mains un chapelet qui lui avait été donné par une amie. Cela n’est pas peu et on voudrait savoir ce qu’ont fait de plus MM. Léon Bloy, Péguy, Bernanos […] pour mériter ce titre de chrétien que nul ne penserait décerner à l’auteur de la Recherche » [10]… Ce qu’ils ont fait de plus que leur première communion ?… Peut-être serait-il disgracieux de le faire savoir, car c’est justement le propre d’un vrai don que de pouvoir n’être pas aperçu. Ce don ordonna cependant tout leur rapport aux choses, et détermina une façon d’être – ce que Alain Besançon appelle sans doute « le style enthousiaste » – capable de retenir à l’instant décisif de jeunes Français tentés par le malheur, et dont l’existence au lieu de se perdre reviendrait au courage quotidien dont ils feraient leur aventure [11] : cela est de la vraie politique, il me semble, l’art du tissage selon Platon, « l’art royal », déjouant les forces de dispersion et d’obscurcissement permises par « ce vide métaphysique » que connaît l’homme moderne. Ce qu’ils ont fait ? Les « réalistes », dont la foi s’accommode parfaitement des étrangetés du monde qu’ils professent de conduire et de ses exigences, ne s’en doutent assurément pas. Ils ont « la force » de tenir à distance les questions essentielles qui mettent la vie à nu. Ils ne connaissent pas « l’homme qui s’éveille dans la nuit et qui condamne son existence plus qu’il ne la juge » [12], ou plutôt ils le feignent. Est-ce ce qui les autorise à se vanter surtout d’être « pratiques » ? Je me souviens de l’ancien chef de l’État français [Jacques Chirac] paradant devant un parterre d’étudiants bien avant qu’il ne lui arrive de devenir l’élu : « Je n’ai pas d’angoisses métaphysiques ». Était-ce vrai, que voulait-il leur dire ? et pourquoi se flatter de travers si intimes, est-ce cela qu’il fallait pour devenir enfin leur prince médiocre, « pratique » par dessus tout, au point de tout avoir défait ? « Nous ne leur accorderons pas même cela. C’est nous qui sommes pratiques, qui faisons quelque chose, et c’est eux qui ne le sont pas, qui ne font rien. » [13]

S’ils eurent l’art de renouer le lien intime des êtres avec les choses, et des êtres entre eux, l’art royal, c’est parce qu’ils sont tout étrangers à cette « dérive sectaire » dont les accuse Alain Besançon. Deux choses les en préservent : une idée de la vérité qui domine tout ; le contrepoids justement de cette passion – un souci de la nation qui fit des événements qui touchèrent leur pays un drame personnel. Léon Bloy savait que sa vocation était de s’adresser surtout à ceux qui se trouvent situés « en dehors de l’Église », et Péguy, harcelé par les catholiques à cause de sa femme qui ne l’était pas, et risquant d’être mis à l’index parce qu’il soutenait Bergson, survivait grâce à quelques lecteurs juifs… Quant à Bernanos, que lui a donc valu « l’atmosphère confinée du petit troupeau » [14] , où est le sectarisme de l’auteur des Grands cimetières sous la lune, qui écrivait des bourgeois catholiques : « J’ai payé cher, plus cher qu’on ne le pense, le droit de dire que je ne compte plus sur eux pour rien, vous m’entendez, pour rien ». Scrutant en éclaireurs solitaires les événements, et décelant leurs enjeux domestiques et mystiques, il se peut que se soit façonnée en eux une sensibilité particulière aux épreuves contemporaines d’Israël – plus précieuse en fin de compte dans l’indétermination du temps que le conformisme en vigueur dans les clans, aussi criminel aujourd’hui qu’il l’a été hier. Ce qu’il faut relever au contraire c’est que la hantise de la mise à l’écart commande en fin de compte chez Alain Besançon sa lecture du destin d’Israël. Inadapté, prophétique, marginal – tel est en fait le peuple juif. S’il a voulu corriger ce que la privation de sa terre et l’étude réduite à la Torah avaient eu d’enfermant, s’il a voulu revenir à la réalité au point de s’affirmer clairement nationaliste, c’est pour s’exposer à d’autres « tentations » contre lesquelles Besançon veut mettre en garde : car il y a un système d’historiographie interprétative à partir de la tentation chez Alain Besançon.

1) Dans un texte publié assez discrètement en 2004-2005 dans la revue Nova&vetera [15] , il écrit avec un mélange d’admiration et de regret : « Le sionisme, comme on en lit le projet dans l’État des Juifs de Herzl, est la plus noble et la plus justifiée des utopies du XXe siècle. Comme les autres elle a suscité des déploiements extraordinaires d’amour et de volonté. » L’emploi du mot « utopie » n’est pas anodin ; curieusement il situe la grande et simple aspiration millénaire du peuple juif à retrouver sa souveraineté sur la terre d’Israël (à la fois cœur objectif de la promesse biblique et paradigme total de la création révélée comme lieu du Rendez-vous), son réalisme réparateur (exactement inverse du préjudice de « désétablissement » que Besançon décrit à propos de l’Église dans Trois tentations) sur le même plan que les rêveries plus ou moins catastrophiques qui prétendirent imposer leur vision réductrice de la destinée humaine et échouèrent après quelques décades d’errance ou des millions de morts : « Il n’est pas assuré que si le projet échoue, il n’entraîne pas des désastres comparables à ceux qui ont suivi l’échec des autres projets utopiques » [16] …comme si l’on pouvait comparer la disparition salutaire d’illusions mortifères avec la réalité nouvelle, réparatrice, « la seule rançon arrachée à l’horreur de la seconde guerre mondiale » (Pierre Boutang), qui a traduit l’inscription de la vieille Alliance biblique tatouée sur la peau de millions de fantômes dans la réalité… Israël n’est pas une utopie : c’est la contre-utopie, l’épreuve de la réelle présence, le fait implanté contre les mirages de toutes les utopies, dénonçant une à une leur nocive vacuité, et combattant résolument leur retour – un « Tu ne te feras pas d’image… » répété pas à pas.

Besançon croit pouvoir énoncer au contraire comme une conséquence du sionisme, la tentation, le risque que « la religion de la Bible dégénère en religion d’auto-adoration de la communauté » [17]. On retrouve ici, bien sûr, le rejet panique de tout nationalisme, même le plus justifié, comme critère unique d’interprétation théologico-politique – mais est-ce qu’il peut y avoir auto-adoration quand justement les morts chaque jour en Israël rappellent ces vieilles paroles de l’Écriture : « une terre qui dévore ses habitants » [18] ? Parce que le sionisme n’est pas une utopie, il est le face à face avec la réalité douloureuse justement, il donne lieu au combat pour ne pas revenir en arrière : ne pas regarder dans le miroir, ne pas rebrousser chemin comme au désert, et maintenir la seule orientation que l’histoire a assignée, rompre avec les servitudes déroutantes des utopies, avec les « eschatologies perverties » de la patience « religieuse ». En quoi le fait nouveau de devoir et pouvoir défendre de tout son cœur et de toute sa force le peuple le plus malmené de l’histoire et son possible avenir, de se tendre tout entier vers la réalité pour écouter ce qu’elle a à dire ici et maintenant, de lutter comme Jacob pied à pied avec elle – pourrait-il promouvoir une religion d’auto-adoration ? « Par une fausse lecture de la Bible, ces Juifs développent un sentiment de supériorité naturelle de nature aristocratique. Ce n’est pas du racisme, comme on les accuse, mais le sens d’un lignage qu’il ne faut pas laisser corrompre » [19]. Après vingt siècles le sionisme aurait fait retomber « ces Juifs » dans une nouvelle faute de lecture, selon M. Besançon ! – mais le lignage reste le fondement biblique de nos premiers devoirs humains et (marqué par le crime le plus noir) résonne assez clairement en ces temps que déçoivent les instincts naturels : c’est cela qu’il convient de préserver de la destruction, de la rancœur et de la démission, le lien religieux avec les siens d’abord. Ce n’est pas à un « sentiment de supériorité » qu’il conduit, mais à la pitié pour les pères et pour les enfants, et à défendre la possibilité pour ce qui existe de se perpétuer – tant que l’hypothèse d’être juif n’est pas abandonnée et incarne l’unique promesse portée par la réalité. « Le nationalisme se fonde sur l’idée que ce qui nous semble premier et légitime possède une puissance telle que nous devons le préférer à toute autre réalité. Ainsi le père est non seulement aimé comme tel mais il devient mon préféré dans l’ordre du monde. Vouloir garder cette préférence c’est être nationaliste. » [20] L’idée d’une « fausse lecture de la Bible » au contraire et l’embarras devant le « sentiment aristocratique » reprennent ces lieux communs ravageurs d’esprits moins scrupuleux ou moins doués que le précieux historien – et étonnent sous sa plume [21].

En proclamant que l’ancienne Alliance n’a pas été abolie, l’Église a pris le risque de raviver la jalousie, qui fait le fond de la nature humaine, à l’égard de ceux qu’un décret des cieux ou du hasard a désignés à l’attention commune (c’est l’histoire de Joseph). Cela l’oblige à assumer ses responsabilités. Loin d’être un sentiment facile à juguler, il faut bien reconnaître que sans un approfondissement radical du dogme catholique (les païens peuvent être charnellement entés sur le vieil Israël par la force de la foi et par les sacrements), cela ne semble guère plus facile aujourd’hui, en dépit des leçons terribles de l’histoire : le fantasme d’une substitution dans l’élection étant toujours, comme le montre l’Islam, la forme la plus dangereuse, parfois suivie par la maladie de vouloir l’abolir si l’on en est exclu – faux remède à la condition de n’être pas né membre du peuple élu et à l’arbitraire divin qui fonde le monde depuis sa création.

Mais Alain Besançon ne peut pas ne pas reconnaître que la nation, juive ou non, avec sa langue et son histoire façonnées par la durée et les réalités naturelles et politiques – est également une création de l’histoire très digne d’être sauvée et d’agir concrètement dans celle-ci, méritant par conséquent d’être l’objet d’une politique : cette politique s’appelle « nationalisme » lorsqu’elle marque une « préférence déterminée pour ce qui est propre à la nation à laquelle on appartient » [22], voilà tout, et respecte ainsi le caractère régulateur de la nation.

Il n’y a pas d’antagonisme entre prendre au sérieux son appartenance nationale et affirmer l’universalité du Dieu unique d’Israël. « Le nationalisme conduit à se persuader que les Juifs sont auteurs de la Bible de la même façon que les Grecs le sont des poèmes homériques ». Certes ils ne le sont pas de la même façon, car « la Bible perd son autorité et une partie de sa valeur », si elle n’est pas inspirée par Dieu, mais nous sommes peu renseignés sur les modes et les degrés de cette inspiration. Le besoin radical qui émerge justement de la détresse des peuples y a certainement sa part, en tant qu’expression des limites naturelles, bénédiction divine fondatrice qui suscita l’histoire par la confrontation de l’homme avec le néant. Il revêt justement le caractère d’une aventure nationale, avec une touche seulement, mais belle et décisive, d’Esprit divin. Est-ce à dire que « le meilleur et le plus légitime motif de la fierté juive est anéanti par le nationalisme au moment où celui-ci pensait l’exalter » [23] ? Non, bien sûr, et Shakespeare ou Homère, quoiqu’inspirés autrement, exaltèrent à bon droit la fierté nationale. Dieu a voulu la liberté des hommes et des peuples, et comme l’écrivait Theodor Haecker en 1935, ils l’ont [24]. L’inspiration n’est peut-être que l’expression supérieure de cette liberté, son lien secret avec la grâce, dont la poésie de chaque langue porte la marque distinctive.

2) Alain Besançon passe enfin en revue la « religion de la Shoah », dont il emprunte la formulation à Emil Fackenheim [25] : « En ne protégeant pas son peuple, Dieu a rompu l’Alliance ce qui annule de ce fait la Loi et les 613 commandements. À la place, il subsiste un seul commandement, le “614e” que Fackenheim appelle le “commandement d’Auschwitz”, dernière et unique marque d’identité du juif et sa seule obligation : “se souvenir et raconter” » [26]. Pour Besançon c’est « installer le peuple sous une malédiction », et renforcer l’incommunicabilité des positions (la clôture toujours si dommageable) puisque « le monde entier, par action, par omission, par ignorance, par indifférence a participé à la Shoah ». Il ne voit dans cette « religion de la Shoah » qu’une caricature de christianisme, une passion « sans pardon, sans rédemption, sans résurrection », comme si ce n’était plus les chrétiens qui « jalousaient » Israël, mais Israël qui imitait la théologisation de la catastrophe, et se faisait une « eschatologie pervertie »… Si ce n’est pas le monde entier, c’est pourtant bien notre monde qui a conduit à la Shoah [27], mais cela ne constitue pas plus une malédiction que le « sur nous ce sang et sur nos enfants » du Vendredi de Pâques. Que le monde entier soit « déicide » et non « les Juifs » seulement, cela ne ternit pas notre espérance, bien au contraire. Le sionisme fut justement la réponse politique, et positive, aux noirs desseins qui s’annonçaient, et il est loin d’être étranger à cette prise de conscience tardive par les chrétiens de leur « fausse lecture » du destin juif. C’est bien cette entreprise providentielle qui a produit une nouveauté libératrice pour tout le monde – j’ai bien écrit pour tout le monde – et une réconciliation objective avec la réalité, transformant en détermination intime et positive la leçon du passé. Besançon cependant n’hésite pas à formuler clairement ce qui pourait-être le prétexte de la prochaine tentative de destruction : « Il n’y a qu’une vindication infiniment ressassée. On ne peut être plus loin de la louange de Dieu pour ses bénédictions, pour son alliance, pour le don de sa Loi. »

Mais n’est-ce pas le même reproche déjà qu’il faisait à nos hommes ? Car il ne suffit pas d’avoir été vaincu de son vivant, il faut aussi que la guerre littéraire s’exerce à titre posthume. Le cas de Bloy, Péguy, Bernanos ayant été réglé, peu songeaient à les imiter. Restaient quelques survivants. Quel risque représentaient ceux-ci en 1978 ? Je ne vois que Boutang élu deux ans plus tôt à la Sorbonne, à la chaire d’Emmanuel Levinas, au grand scandale des grandes consciences, et qui s’apprêtait à publier certains textes majeurs pour la littérature et pour la politique de ce pays : Ontologie du secret, Le Purgatoire, Maurras, la destinée et l’œuvre, Apocalypse du désir… Si, depuis ce temps, nous avons un tant soit peu cédé à cette « tendance du catholicisme français à se constituer en contre-société, close, malheureuse et retranchée de toutes parts » [28], nous nous le reprochons amèrement. Mais faut-il regretter de surcroît que « L’Église, (je veux dire son personnel) expulsée de la société politique à la fin de XIXe siècle, spoliée encore une fois, réellement persécutée, [ait tenté] de s’y réinsérer en épousant la cause du nationalisme » [29] ? Ce n’était pas un moyen condamnable, le seul tort est de n’avoir pas été aussi exigeant avec ce nationalisme-là que les chrétiens d’aujourd’hui prétendent l’être avec celui des Juifs. Cette cause de la nation qui est la nôtre, en dépit de toutes les caricatures passées et présentes, était aussi et demeure celle d’Israël en Europe, nation étrange parmi toutes les nations, modèle inimitable mais chef de file clandestin de l’Occident : « L’homme européen ne se trouve pas éminemment en Europe, ou n’y est pas éveillé. Il est, paradoxe et scandale, en Israël », écrivait Pierre Boutang il y a quarante ans dans La Nation Française. « En quoi, pourquoi Israël est-il l’Europe ? Certes par l’origine de ceux qui ont bâti son État, imposé les conditions du rassemblement de son peuple. Mais cela ne suffirait pas, si l’Europe historique, d’où étaient revenus ces revenants, n’avait été elle-même modelée sur l’histoire du peuple hébreu, n’avait repris la mission du peuple de Dieu dans une “chrétienté ”. La couronne du Saint Empire portait l’effigie de David et celle de Salomon, la politique de nos rois en France – avant Bossuet, de l’aveu même de Machiavel – était “tirée de l’écriture sainte”, et les nations, jusque dans l’hérésie jacobine et révolutionnaire, imitaient un dialogue immortel entre la naissance et l’obéissance au Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. » [30] Ce n’est donc pas l’excès de passion nationale qui a détruit l’Europe dans la guerre, mais le défaut d’amour de la nation, la démission de la nation et la nation réduite à sa composante dominante, rendue inerte et incapable de se souvenir de sa mission formidable héritée des Grecs et des Romains, incapable de répondre de la présence réelle en son sein d’un reste fondateur de son histoire, témoin de son origine et de sa vérité oubliée. France fille aînée de l’Église, qu’as-tu fait de ton baptême, qu’as-tu fait de la promesse de ton premier amour, qu’as-tu fait de ton honneur, de ton lien sacramentel et substantiel, de ton lien charnel (et spirituel à la fois) avec la Jeune Fille juive ?

Cette perception religieuse de la continuité nationale n’était pas inutile en août 1940. Georges Bernanos écrivait, après « la rupture de la ligne Maginot » : « Il y a vingt ans, j’ai vu ce peuple faire la guerre, et il la faisait avec la même patience, la même simplicité, le même cœur que ses pères avaient fait les cathédrales. Avec la même lenteur aussi » – et : « le front des cathédrales a tenu » [31]. Comme si le creuset politique constituait alors, dans l’âme imprégnée par des siècles de piété, une détermination profonde à prendre sa part de peine et même de sacrifice pour le pays.

Je ne sais si le front des cathédrales a tenu, mais il ressemble beaucoup à celui des guerres d’ Israël aujourd’hui. À l’heure du déclin politique et religieux de l’Europe « chrétienne » devant l’Islam si bien décrit par Besançon, comment ne pas être frappé par le fait que c’est une situation de guerre à nouveau qui menace, et que c’est le destin de la foi jadis défendue sur notre sol natal et en même temps la nation qui longtemps l’a portée qui se trouvent l’une et l’autre susceptibles de s’effacer en même temps : « est-ce que le Fils de l’Homme retrouvera de la foi lorsqu’il reviendra sur cette terre ? » Bah ! il y a sûrement un peu de port-royalisme chez nous… c’est ce que nous essayons de corriger, nous « tâchons de souffrir au jour le jour, la tête autant que possible tournée vers le mur, afin de ne pas décourager le prochain » [32] ! Cela nous permettra peut-être de ne pas produire, comme l’écrit Besançon, « un gémissement sans proportion avec le degré de persécution qui est censé le provoquer » [33]– et même si nous parvenions à nous élever (avec Péguy) à ce souci, à cette passion, à « cette anxiété constante du salut éternel de notre peuple », ce serait certainement par un acte de foi silencieux. Oui silencieux. C’est tout ce qu’il y aurait à « savoir ».

En réalité la critique de Besançon contre les chevaliers d’Israël [34] poussée à peine plus loin rejoindrait le il ne faut pas être « à part » des modernes – mais ce n’est pas nous qui lui donnerions tort. Nous le dirions toutefois avec des mots différents, ceux pourquoi pas du même livre d’Emil Fackenheim : « Quand Titus détruisit le second Temple, quand Hadrien paganisa Jérusalem, les rabbins restèrent attachés avec ténacité aux expériences fondatrices du judaïsme. Leurs descendants n’ont pas fait preuve de cette même ténacité quand, après l’émancipation, ils ont été plongés dans le monde moderne et exposés au sécularisme ambiant (…) Ils croient qu’il leur faut composer avec le sécularisme moderne. » [35] Le défi et l’attirance liés au « sécularisme moderne » ne sont pas des particularités juives, mais ils sont ressentis par le christianisme également : « La foi chrétienne est, comme la foi juive, inconciliable avec le sécularisme (…) Cependant la théologie chrétienne récente éprouve elle aussi le besoin significatif de s’exposer au monde séculier moderne, et cela en dépit du risque encouru de céder au sécularisme. Qu’est-ce qui inspire ce besoin d’exposition ? C’est le fait que, dans les temps modernes, le monde séculier est “là où est l’action” et qu’un Dieu de l’histoire doit être là où est l’action ». Ajoutons qu’il y a pour le chrétien une tentation spécifique dans l’idée même de « s’exposer »… et aussi que l’héritage de l’histoire juive a montré où conduisait dans le monde moderne le renoncement – religieux ou pas – à la maîtrise nationale des moyens de défense et d’action politique pour le peuple sacerdotal. « Si Dieu est le Dieu de l’histoire, Il doit être le Dieu de l’histoire séculière contemporaine aussi. L’évasion est impossible. » [36] Le besoin de prendre part à l’histoire a donné lieu à plusieurs déviations destructrices comme le marxisme, le nazisme et l’invention par les arabo-musulmans – au nom de la « cause palestinienne » et de l’altermondialisme anti sioniste et islamiste – d’une manière pour ce peuple embourbé dans les marais de l’histoire d’y revenir par la violence et la manipulation débridée de la faible valeur que les « frères » accordent à leur propre existence (ou innocence).

Mais c’est un peu le cas de tout le monde : si vous ne parvenez pas à attirer un tant soit peu l’attention ici-bas, vous ne pouvez aujourd’hui exister dans la pensée des autres ; or dans un monde si radicalement structuré sur les rapports humains, vous n’existez réellement pas. Oui certes nous piétinons ; notre position marginale, nationale-catholique sioniste nous vaut peu de bienveillance, et la vieille garde de l’orthodoxie religieuse désavoue donc nos positions ! Le christianisme a justement voulu constituer une société complète mais il a échoué, il a échoué dans l’athéïsme – voilà notre monde, le monde qu’il convient d’habiter, assumer, investir. « Tout se passe comme si l’enfermement de la société catholique se redoublait à l’intérieur d’elle-même par un enfermement de son clergé » [37]. Besançon n’a pas tort, et le prêtre ne paraît plus aujourd’hui le passeur, le témoin d’un monde invisible et le contact avec cet autre monde, mais il est l’étranger, le reclus, le juif du monde futur et comme tel entièrement rejeté. L’Église demeure pourtant la compagnie du prêtre : que serait-elle, privée de ses sacrements, un parti comme les autres, un néant avec son pittoresque ? – tandis qu’entée sur Israël par la Tradition des apôtres et la messe, elle demeure à l’égal de lui la question indestructible de l’histoire.

Depuis la maison d’où nous vous écrivons, arrimée à cette terre qui s’égare, un peu en retrait des exigences du monde, mais aussi de ses facilités, on le perçoit peut-être plus aisément. Elle ressemble davantage à un bateau que des avaries ont éprouvé qu’à un poste de combat solidement agencé. L’imposant toit à la Mansart qui couronne la charpente comme la carène d’un navire semble battu par les vents de l’histoire. « Ces croisades que nos pères allaient chercher jusque sur les terres des Infidèles, ce sont elles aujourd’hui qui nous ont rejoints au contraire, ce sont elles à présent qui nous ont rejoints, et nous les avons à domicile. Nos fidélités sont des citadelles (…) Toutes nos maisons sont des forteresses in periculo maris, au péril de la mer. La guerre sainte est partout (…) Cette guerre sainte qui autrefois s’avançait comme un grand flot dont on savait le nom, (…) elle vient aujourd’hui battre le seuil de notre porte. Ainsi nous sommes tous des îlots battus d’une incessante tempête et nos maisons sont toutes des forteresses dans la mer. Qu’est-ce à dire sinon que les vertus qui alors n’étaient requises que d’une certaine fraction de la chrétienté aujourd’hui sont requises de la chrétienté tout entière (…) C’est une levée en masse (…) Nos pères avaient besoin de se croiser eux-mêmes, et de se transporter pour faire la croisade. Nous Dieu nous a croisés lui-même, quelle preuve de confiance, pour une croisade incessante sur place. Les plus faibles femmes, les enfants au berceau sont déjà des assiégés. La guerre bat le seuil de nos portes. Nous n’avons pas besoin d’aller la chercher, d’aller la porter. C’est elle qui nous cherche. Et qui nous trouve. Les vertus qui n’étaient requises que des militaires pour ainsi dire, des hommes d’armes, du seigneur en armure aujourd’hui sont requises de cette femme et de cet enfant (…) Nous sommes tous aujourd’hui placés à la brèche. Nous sommes tous à la frontière. La frontière est partout. La guerre est partout, brisée, morcelée en mille morceaux, émiettée. Nous sommes tous placés aux marches du royaume. Nous sommes tous des marquis. » [38]

L’an dernier [2006], quelques instants après que nous ayons envoyé chez l’imprimeur de Clamecy le dernier livre de Michael Bar-Zvi, Être et exil, philosophie de la nation juive – à la même seconde précisément où il y arrivait – une violente tempête brisa plusieurs grands arbres du jardin, arracha du toit une haute cheminée, creva la couverture et détruisit une bonne partie de la charpente. Malgré cela notre maison tient encore, vue du toit elle semble retenue dans le sillage de l’église qui domine la partie haute du village, avec son clocher muni de la croix paratonnerre et le Saint Sacrement – et qui, elle, ne s’est pas écartée « d’un iota » de son cap fixé depuis l’aube des siècles. Nous essayons de faire vivre notre maison. Mais dans l’Histoire où filons-nous si vite, en demeurant sur place, nous autres Français, croisés désignés immobiles ? « Nous sommes tous des marquis », et mieux que Péguy peut-être nous savons désormais ce que deviennent les marquis : « Yehudi Ben Melekh – Chaque juif est un prince », disait aussi Jabotinsky. Sur place au péril de la mer, ou comme les astronomes un peu plus près du ciel, croient-ils, juchés sur leur observatoire – nous percevons son murmure – sauf que cet univers est notre monde, maintenant. « Ces dernières années (…) saisi toujours à nouveau par le frémissement du “maintenant”, je n’ai pu faire davantage que de discerner (…) une parole à travers le silence. » [39]

Olivier Véron, « Autocritique », Les provinciales (lettre) n°78, avril 2007, repris dans OV, Dans le regard de Pierre Boutang. Babel ou Israël, Les provinciales, 2019.

[1] A. Besançon, Trois tentations dans l’Église, Perrin, 2002, p. 30.

[2] Ibid.

[3] « Un luxe d’élite cloîtrée, une civilisation de serre représentaient soixante siècles d’efforts, de sensibilité, de réalisations vivantes. Thèbes, Memphis, Babylone, Athènes, Rome, Alexandrie tenaient entre les quatre murs d’un monastère, en de vieux manuscrits feuilletés par des hommes durs qui opposaient le contrepoids indispensable de la Règle aux impulsions épouvantables d’un monde retombé à l’état primitif. Mais c’est autour de ces murs, dans les villes écartées, hors des grandes routes du massacre, que se groupait ça et là le peuple des campagnes pour y façonner l’avenir. Le nord des Gaules, aux temps mérovingiens, dans le chaos des mœurs, des races, des langues qui s’agitait sur les villes incendiées et les moisssons détruites, n’eut pas d’autres centres d’action » Élie Faure.

[4] Louis-Ferdinand Céline.

[5] Charles Péguy, A nos amis, à nos abonnés.

[6] A. Besançon, op. cit.. , p. 34-35.

[7] A. Besançon, op. cit.., p. 34-35.

[8] Dans le chapitre crucial de son Maurras, la destinée et l’œuvre (La Différence, 1992), intitulé « Dans le regard de Péguy ».

[9] A. Besançon, op. cit, p. 103.

[10] Ibid., p. 21.

[11] Nous pensons à l’effet des textes de Léon Bloy sur Jacques et Raïssa Maritain avant la première guerre mondiale, ou de ceux de Péguy sur Pierre Boutang en 1940.

[12] Pierre Boutang, La Politique, la Politique considérée comme souci, 1948.

[13] 11. Péguy cité par Bernanos, Essais et écrits de combat, Pléiade, II p. 591.

[14] Besançon, op. cit.., p. 29.

[15] En deux livraisons : numéro du troisième trimestre 2004 et numéro du premier trimestre 2005 de Nova & vetera, LXXIXe année.

[16] A. Besançon, Nova&vetera, art.. cit., p. 84.

[17] Ibid., p. 85.

[18] Nombres 13-32, Cf. Michaël Bar-Zvi, Être et Exil, philosophie de la nation juive, Les provinciales, 2006, p. 327.

[19] Besançon, art. cit., p. 85.

[20] M. Bar-Zvi, , op. cit.

[21] Alain Besançon est notamment l’auteur, avec Jean-Miguel Garrigues de L’Unique Israël de Dieu, paru en 1987 aux éditions Criterion.

[22] Si l’on s’en tient à la définition d’un Larousse antérieur aux débordements intimidants du XXe siècle.

[23] Besançon, art. cit., p. 85.

[24] Theodor Haecker, Le chrétien et l’histoire, Les provinciales, 2006.

[25] E. Fackenheim, La Présence de Dieu dans l’histoire, Verdier, 1980.

[26] Besançon, art. cit., p. 86.

[27] Cf. Richard L. Rubenstein, La Perfidie de l’Histoire, Les provinciales, 2005.

[28] Besançon, art. cit., p. 86.

[29] Ibid

[30] Pierre Boutang, La Nation Française, n°597, du 25 mai 1967

[31] Georges Bernanos, Essais et Écrits de combat, T. II, p. 249.

[32] Bernanos, op. cit., p. 579

[33] Besançon, op. cit., p. 28.

[34] cf. La belle préface de Michaël Bar-Zvi au livre de Rémi Soulié, Péguy de combat, Les provinciales, 2007

[35] Emil Fackenheim, La Présence de Dieu dans l’histoire, Verdier, 1980, pp. 75-6.

[36] Ibid

[37] Besançon, Trois Tentations, p. 25

[38] Ch. Péguy, Un nouveau théologien, Monsieur Fernand Laudet, 1911, § 225, cité dans Les provinciales n°25, du 20 janvier 1992.

[39] Martin Buber

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