Bernard-Henri Lévy : « Une vraie histoire »
Bernard-Henri Lévy se souvient de la sincérité du philosophe.
Qui eût cru un dialogue possible entre un des héritiers de Maurras et le pourfendeur de L’Idéologie française? Il fallait pour cela l’enthousiasme de Maurice Clavel, qui réunit Pierre Boutang et Bernard-Henri Lévy chez Grasset en 1979. Le philosophe se souvient de cette rencontre improbable.
« Clavel, qui était son ami et le mien, tenait depuis longtemps à cette rencontre qui faisait partie de ce vaste plan politico-métaphysique auquel il rêvait depuis Mai 68 et qui consistait à rapprocher tous ceux qui travaillaient à la déconstruction de la “conception politique du monde”. Et voilà que nous sommes là, par hasard, assis côte à côte. Lui signe L’Apocalypse du désir, moi Le Testament de Dieu. Clavel, qui vient d’entrer, s’agite, s’ébroue, fulmine, nous bouscule, nous fait lever, nous rapproche, balaie les préventions que nous avons l’un et l’autre et nous fait nous saluer. Je savais qu’il avait été le secrétaire de Maurras. Je savais qu’il avait été, à l’époque des Camelots du roi puis, encore, après la guerre, un activiste d’extrême droite. Je connaissais ce texte atroce, antisémite de bout en bout, qui s’appelait La République de Joinovici,que je tiens, aujourd’hui encore, pour un texte infâme. Mais je savais aussi qu’il avait, une quinzaine d’années plus tard, déclaré rompre avec toute forme d’antisémitisme et j’avais assez d’amis dans son entourage, à commencer par l’un de ses fils, pour deviner qu’il y avait là, dans cette rupture, une manière de conversion qu’il convenait de prendre au sérieux. Et j’avais lu un petit livre de lui, plus récent, qui était un éloge d’Israël, un éloge méta-historique, la preuve assez bien donnée de la vocation fondamentale d’Israël parmi les nations, de son exceptionnalité de fait et de vocation, et de sa grandeur. »