La Politique de Pierre Boutang (1916-1998), publié en 1948, est un livre important, livre d’un jeune philosophe d’une trentaine d’années, rappelons-le, tant Boutang l’insurgé a été trop souvent embaumé vivant dans la stature hiératique du génial disciple de Charles Maurras devenu à son tour un vieux sage. « Ce livre a pour objet de retrouver une mesure et une vérité dans un ordre où l’homme échappe de plus en plus à l’homme », « fonder en vérité l’autonomie de la politique, et d’un jugement historique distinct du jugement moral », prenant en compte « la nature historique de l’homme, le rapport absolu au relatif, c’est-à-dire à une communauté non choisie dont la relation du fils au père est la première approche », qui suspend « tous les bonheurs du monde à l’acte d’humilité initial, la reconnaissance d’une finitude originelle : je nais ici, et non ailleurs, fils d’une famille, héritier d’un nom. Il ne dépend pas de moi que la spiritualité humaine et la civilisation ne se manifestent pas comme un système de volonté mais comme une histoire. » Contre Kant donc et les kantiens de son temps comme du nôtre, Boutang rappelle ainsi avec force « l’importance théorique et pratique de la politique, comme du domaine où l’idée du père pouvait instaurer une mesure et une vérité, et comme l’exemple d’une universalité qui n’éloignât pas l’homme du réel et des sentiments naturels », « à la jonction de l’universalité et de la singularité empirique l’homme naît dans une communauté qu’il n’a pas choisie. Cet événement contingent et relatif constitue pour lui un engagement nécessaire et absolu ». Ce que l’héritage boutangien permet ainsi de saisir, c’est ce que pourrait être un juste « nationalisme » non contradictoire avec le christianisme et son réalisme de l’Incarnation.
Il faut lire, relire et faire lire La Politique considérée comme souci et faire gagner ainsi dix et vingt ans d’agitations stériles aux jeunes gens et rattraper les décennies perdues de vaines cogitations aux moins jeunes. Si je ne vous convaincs pas ici, lisez alors L’Avenir du Printemps d’Olivier Véron, éditeur et disciple de Boutang, fougueuse méditation boutangienne sur l’impolitique contemporaine, qui fait de la naissance même comme elle a fait de la nation un pur artefact de la volonté, « car qui touche à la filiation s’en prend à la nation, au bien universel infalsifiable de la naissance, à la condition même de notre existence politique ». S’en prendre au mariage et à la famille, c’est s’en prendre à la naissance comme à la nation, c’est s’en prendre à la possibilité même de la liberté réelle.
Falk van Gaver, La Nef n°263, octobre 2014.