« Aimez-vous les uns les autres » : petit essai de théologie politique
Héritière de l’empire d’Alexandre et d’un empire romain à bout de souffle, l’Europe chrétienne a d’abord eu deux têtes, Byzance et Rome ; mais le prestige impérial s’étiola à l’intérieur du christianisme même, et les charges administratives et militaires redevinrent fatalement inopérantes dans un empire trop grand où s’éveillait la personne en tant qu’esprit, image et temple divins : elles entraînèrent la chute de Rome sous la menace des barbares puis de Constantinople sous le joug ottoman. Ce furent les nations qui émergèrent en Europe et se constituèrent en États souverains autour de langues, de territoires et d’histoires nationales, constituant peu à peu la forme propre de la chrétienté et sa force éclatante dans le monde.
Le Christ s’il est roi (or messie veut dire roi) expose une autre idée de la souveraineté que celle de n’importe quel empereur et de ses obligés. Boutang précisera : « Il n’y a pas de pouvoir chrétien, mais une modification chrétienne du pouvoir ». « L’exousia (ἐξουσία), le pouvoir véritable, est l’acte de déposer sa vie par amour », explique-t-il. Le souverain (chrétien) authentique est donc celui qui porte en lui le souci de son peuple, identifie en lui jusqu’à la mort ce souci avec sa propre vie, et porte ainsi ce peuple à être et à durer.
L’expansion des croisades, dont la France particulièrement (et ses rois) tirerait un rayonnement universel, ne serait donc pas une résurgence des puissances païennes civilisatrices, mais procéderait au contraire de cette « modification du pouvoir » et de la force du sentiment national de défense autonome qu’elle implique : la chevalerie. (…)
Israël depuis Beaufort
Richard Millet : Comment transmuer le sang juif de Jésus en sang chrétien ? Le sang et l’être juifs ne se confondent-ils pas dans une universalité à laquelle je participe par le baptême et par cet héritage qui porte le nom de culture ? N’y a-t-il pas toujours un Juif qui témoigne pour moi, sinon en moi, chrétien ainsi chargé de lui témoigner une éternelle reconnaissance ? Cela, je ne me le...
Le prophétisme est une prise de conscience historique
Pour dessiner les traits d’une société redoutée dans ses tendances totalitaires, de puissants écrivains ont publié toutes sortes de fables au XXe siècle. Kafka a suscité un univers oppressant dans lequel l’individu se trouve radicalement isolé face à un ordre impénétrable qui lui impose sa Loi. Canetti a insisté davantage sur la dégradation inexorable des relations entre les personnes avant la catastrophe. Chesterton a décrit la suspicion mutuelle sous...