Saskia Cohen-Tanugi, Le Lien : « Un incomparable sens de la vérité. »

« C’est cette force foudroyante de tout utiliser, même l’échec, même l’isolement, la précarité, les controverses, l’adversité politique, les déceptions, c’est cette capacité de résister à tout, à toute humiliation, à tout découragement qui est la leçon la plus instructive de ce livre », écrit Saskia Cohen dans Le Lien :

 

« Ce livre (Histoire de ma vie, de Vladimir Zeev Jabotinsky) qui vient d’être édité par Les provinciales dans une belle et limpide traduction de Pierre Lurçat est un livre qui éclaire sur la force psychologique d’un homme dont les actions en Russie, en Angleterre, en France ont influencées jusqu’au Proche Orient contemporain. Né à Odessa en 1880 et mort à New York en 1940, Vladimir Zeev Jabotinsky a une image très controversée dans différents cercles politiques. Il se révèle dans ces pages, très instructif. Dans ce livre, il raconte sa période d’action de la fin du XIXe siècle jusqu’à l’année 1920. Il ne traite donc pas de la relation judéo-arabe. Mais des premiers congrès sionistes. De la mise en place du fameux bataillon des Muletiers. Conçu tout d’abord pour que les volontaires Juifs puissent en 14-18 participer à l’effort de guerre des Alliés. Dans ce livre, il traite de ses différentes rencontres à la veille de la première guerre mondiale et pendant la guerre. Ce document est un outil intéressant pour comprendre les réactions qui ont permis à un homme de maîtriser un certain nombre d’entraves politiques et idéologiques. Tout d’abord on y découvre deux qualités : l’opiniâtreté et l’intelligence. Elles sont soutenues par une très grande liberté de parole et de mouvement, et une capacité d’analyse stratégique assez remarquable. Il fait face aux situations qui pourraient se transformer en échec avec un sens rapide de l’analyse. Il surmonte les humiliations subies, qu’il raconte avec un incomparable sens de la vérité. Jabotinsky a bénéficié d’alliés exceptionnels : rédacteurs en chef, militaires, journalistes et politiques. Harry First, Trumpeldor, Sir Ronald Graham, Weizmann, Edgar Suarès… Il s’est allié ou a combattu des hommes de qualités. Jabotinsky se présente tout d’abord comme le fils d’une mère au tempérament incroyablement fort. Le premier mot de son œuvre est « ma mère ». Et cette admiration se retrouve dans son féminisme : « J’estime la femme plus que l’homme dans tous les domaines de la vie publique et domestique… Il n’y a aucune fonction ou profession que je ne préfèrerais pas confier à une femme plutôt qu’à un homme. Chez moi, cette conception… provient peut être de mon expérience personnelle. » (p.169-170) C’est cette force foudroyante de tout utiliser, même l’échec, même l’isolement, la précarité, les controverses, l’adversité politique, les déceptions, c’est cette capacité de résister à tout, à toute humiliation, à tout découragement qui est la leçon la plus instructive de cet ouvrage. Les différentes analyses sur la vie politique, sur la vie quotidienne dans les camps militaires sont instructives. Les réactions de Jabotinsky face aux différentes oppositions sont riches en renseignements. Il découvre les méthodes qu’il met en place, d’instinct pour parvenir à surmonter un certain niveau d’hostilité et à transformer favorablement, ce qui aurait pu l’anéantir. Ce document est écrit dans un style narratif fort, et non dénué d’humour : « Untel a deux fils, le premier est intelligent, le second est sioniste… » Jabotinsky est à la fois, comme Herzl, qu’il croise brièvement, auteur de théâtre, traducteur, journaliste, conférencier, activiste et cela transparaît dans son style. Il s’intéresse à transformer l’idée par l’action, la relation des Juifs de diaspora avec leurs différentes autorités, par le dialogue. On y découvre un admirateur de Garibaldi et de Trumpeldor. Un homme éprit de liberté, qui conserve un certain esprit critique sur lui-même : Il est en combat contre l’impopularité de certaines de ses idées dans les milieux juifs : « Je me trouvais soudain seul contre l’organisation sioniste tout entière dans toute la diaspora » (p. 165) Ce document extraordinaire présente à la fois une page d’histoire du début du XXe siècle dans les milieux juifs et à la fois la pensée d’un stratège politique. « La stratégie est l’aptitude à localiser immédiatement, sur tout l’espace du front dans toute son étendue, le point le plus faible de l’ennemi. Pour cela, il faut être doué de ce que les Anglais, appellent l’imagination. » (p. 174) Dans sa postface, Lurçat signale qu’en dehors de son combat pour la création d’un Etat Juif et d’une armée, Jabotinsky développe une conception économique et sociale basée sur l’attribution de nourriture, logement, soins médicaux, éducation et habillement pour tous. « Je déteste à un point extrême toute idée montrant une différence de valeur entre un homme et son prochain. Cela ne relève pas de la démocratie mais de son contraire, je crois que tout homme est roi. »
L’histoire de sa vie, peut être lue comme un chapitre de la Genèse d’Israël. »

Saskia Cohen-Tanugi, Le Lien n°368.

• présentation complète du livre