Alexis Lacroix, L’Express : « Contre les tentations idéologiques de la droite… »

…de la droite, un seul remède : Georges Bernanos, monarchiste et Français libre.

Il flotte, dans la droite de la droite, un entêtant parfum de reconquista. Marion Le Pen, renommée « Maréchal‎ », profile à grands renforts promotionnels son laboratoire universitaire de réarmememt national. Et de bons esprits aux abords débonnaires réhabilitent Charles Maurras, tel l’essayiste Michel de Jaeghere, au micro d’Alain Finkielkraut. Résumons leur argumentation : nous, les républicains, depuis plusieurs décennies, nous aurions faux. Tout faux. Nous aurions ignoré et satanisé l’œuvre d’un homme qui, nous apprend-on, n’aimait pas Pétain.
Que faire ? Un écrivain nous offre, par bonheur, une échappatoire. Un sauf-conduit. Hors du chantage et de l’impasse Charles Maurras.
Le Bernanos du guérillero des lettres Sébastien Lapaque ressort à point nommé. Tradi à sa façon, son cher Georges ne fit jamais la paix avec le monde moderne. Héritier de la France éternelle, celle des bâtisseurs de cathédrales et des curés de campagne, il vomissait le machinisme.
Oui, mais voilà : il résista à l’« envoûtement » des dictatures totalitaires. Pour le dire clairement : contrairement à Maurras, l’auteur des Grands cimetières sous la lune identifia dans le franquisme l’une des pires variantes de la brutalisation moderne ; contrairement à Maurras, il entendit, lui, dans l’appel du 18 Juin un écho de l’héroïsme chevaleresque ; gaulliste exilé dans le sertao brésilien, il cultiva, depuis une bâtisse nommée La Croix des Âmes (Cruz das Almas), une idée de la France aux antipodes du nihilisme de l’Action française et fustigea les « cafards de Vichy » ; enfin, contrairement à Maurras, il ne resta pas, en 1945, impassible face à l’horreur soudain révélée des camps de la mort – il en fut pétrifié. Épouvanté.
Une certaine droite souhaiterait brouiller les cartes. Elle devrait plutôt lire Lapaque. D’urgence.

Alexis Lacroix, L’Express n°3495 du 27 juin 2018.

 

 

 

 

Réponse cinglante de Jacques de Guillebon dans L’Incorrect :

(…) Cet homme qui selon toute apparence ne se fatigue pas à lire tient à opposer au Maurras, forcément sombre et sanglant, que nous soutiendrions, un lumineux Bernanos que nous ignorerions. Las ! Il suffisait d’ouvrir notre numéro d’avril pour constater que si Maurras il y a chez nous, ce n’est jamais que transmis, transformé, corrigé, bref guéri par Bernanos – mais encore par Pierre Boutang, Gérard Leclerc, Jacques Maritain, ou encore Jean-François Colosimo.
Aussi, nous apprendre que « Bernanos, contrairement encore à Maurras, ne resta pas, en 1945, impavide face à l’horreur soudain révélée des camps de la mort », c’est fort sympathique mais parfaitement imbécile. (On doute d’ailleurs que ce cher Bernanos dont après Sarkozy Macron, décidément fort original, a offert le Journal du curé de campagne au Pape quelques jours après que le « fils d’immigrés, noir et pédé » a sali l’Élysée demeurerait impavide devant quoi que ce soit de notre époque).
La gauche (…) ne sait pas quelle tradition politique occidentale court, sans cesse corrigée, rectifiée, améliorée, d’Aristote à Leo Strauss, Julien Freund ou Alasdair MacIntyre, qui essaie de penser l’articulation de la liberté avec le bien commun autrement que dans les schémas périmés du droit opposable de l’individu au Léviathan. Et que dans cette tradition on trouve aussi une partie de Maurras, celle de « l’autorité en haut, les libertés en bas », parfaitement digne de méditation et que l’art de la vraie transmission propre à la droite a de longtemps débarrassée de ses infamies racistes ou antisémites (…)

Jacques de Guillebon, L’Incorrect n°11.