« Les travaux de Bat Ye’or tournent autour de deux questions principales : la naissance de ce qu’elle nomme « Eurabia », dans son livre Eurabia : l’axe euro-arabe (Jean-Cyrille Godefroy, 2007) et ce qu’elle qualifie de « dhimmitude », à partir d’une étude du statut des dhimmis, c’est-à-dire des non-musulmans dans les pays conquis par le djihad, dans son livre Juifs et chrétiens sous l’islam (Berg, 2005).
Eurabia était le titre de la revue publiée par le Comité européen de coordination des associations d’amitié avec le monde arabe à partir de 1973, sous la direction du gaulliste Lucien Bitterlin, grand représentant de la « politique arabe » de la France. Mais Bat Ye’or désigne, sous ce terme, une bien plus large entreprise de rapprochement euro-arabe, notamment au sein du « dialogue euro-arabe » lancé depuis 1973 par la Lybie et la France, puis élargi à la Communauté européenne et à la Ligue arabe. Il va de soi que le succès de ce terme d’ »Eurabia », notamment auprès des néo-conservateurs américains, tient à l’inquiétude ressentie face à une « islamisation » de l’Europe par des auteurs que l’on ne s’empresse pas de traduire en français, comme Christopher Caldwell (Reflections on the Revolution In Europe : Immigration, Islam, and the West, 2009) ou Walter Laqueur (The Last Days of Europe : Epitaph for an Old Continent, 2007). Bat Ye’or résume très bien ce sentiment qu’il nous est possible de partager : « Quand les synagogues et les cimetières juifs nécessitent une protection, comme l’exigent les églises dans les pays musulmans, c’est Eurabia. Quand des musulmans apostats ou libres-penseurs et des intellectuels ou des politiciens doivent se cacher ou vivre avec des gardes du corps parce qu’ils offensent l’islam, ce n’est plus l’Europe des droits de l’homme, mais Eurabia. »
Le « dialogue euro-arabe », qui est l’ancêtre de l’ »Alliance des civilisations » proposée par José Luis Zapatero et Recep Tayyip Erdogan à la suite des attentats de Madrid, vise à un rapprochement des civilisations européenne et arabe. Le modèle du califat andalou du Moyen Âge serait un exemple pour la construction d’une « Eurabia » du XXIe siècle. Jusqu’ici, rien que de très louable mais, là où les choses se gâtent, c’est lorsque Bat Ye’or cite longuement les textes produits par ces diverses officines : il y est toujours question que l’Europe reconnaisse la grandeur de la civilisation arabe et facilite l’installation d’immigrants musulmans et leur accès à leur « culture d’origine ». Il faut également « traduire les livres arabes dans les principales langues européennes ».
(…) Mais aucune réciprocité n’est prévue.
(…) Sont également éclairantes les réflexions de Bat Ye’or sur la « dhimmitude », appréciées en leur temps par le philosophe et théologien protestant Jacques Ellul, qui préfaça en 1980 l’édition anglaise du livre sur les dhimmis. Ce terme de « dhimmitude » est emprunté au phalangiste et président chrétien libanais Béchir Gemayel, qui l’utilisa pour la première fois en 1982, peu avant son assassinat. Bat Ye’or montre que le statut des juifs et des chrétiens, mais aussi des autres non musulmans en terre d’islam, n’est pas du tout conforme à la légende dorée popularisée par le mythe andalou. Le dhimmi est constamment avili (…)
Bat Ye’or offre enfin une perspective très éclairante sur la sempiternelle et curieuse « humiliation » arabe, toujours à fleur de peau. Omniprésente dans le discours militant pro-palestinien, on la fait en général remonter à l’issue de la Guerre de six jours, ou quelquefois plus avant, jusqu’à l’expédition de Bonaparte en Égypte, qui auraient rendu évidente la supériorité de l’Occident sur le monde musulman. Ce n’est en fait pas de cela qu’il s’agit. Bat Ye’or l’explique de manière lumineuse : « Est humiliante la relation d’égalité avec l’homme méprisé » (…)