(…) La souffrance, le courage, les livres comme antidote au désespoir, tel est le sujet de la pièce de Philippe Murgier (qui se joue présentement au Théâtre 14, Mon ami La Fontaine). Louis XIV ne condamna pas seulement Fouquet à mourir comme un rat dans son trou, mais il lui interdit simultanément le papier, la plume, la lecture. Mon ami La Fontaine, c’est l’irruption dans la vie de l’infortuné Fouquet du recueil de fables que vient de publier son fidèle ami La Fontaine et que celui-ci a pu lui faire parvenir clandestinement.
Durant la représentation, je n’ai pas cessé un instant à songer aux larmes de joie qu’un de mes amis, jeune peintre russe, n’avait pu, au printemps 1967, s’empêcher de verser lorsque dans un café, à Moscou, je lui avais passé sous la table, enveloppé dans du papier journal, un livre de Berdiaeff, philosophe dont l’œuvre et le nom étaient frappés d’anathème sous le régime totalitaire soviétique. J’ai pensé aussi à Jean-Paul Kauffmann qui, dans l’horrible cachot où le djihad islamique le tint enchaîné pendant de longues années, puisa la force de survivre dans la lecture des quelques livres qui, par miracle, étaient en sa possession, La Bible, Sartre, Guerre et paix de Tolstoï.
Par une heureuse coïncidence, quelques jours après la soirée au Théâtre 14, je reçois au courrier la nouvelle édition d’un livre de Pierre Boutang depuis longtemps épuisé : La Fontaine politique, aux éditions Les provinciales. C’est assurément un des plus beaux essais de Boutang, qui mettait La Fontaine au-dessus de Racine ; qui en avait fait un de ses deux auteurs de chevet, l’autre étant Dante.
Si j’ai un conseil à vous donner, c’est : 1. de vous précipiter au Théâtre 14 voir la pièce de Philippe Murgier ; 2. de vous précipiter chez votre libraire pour acheter le livre de Boutang. (…) (texte intégral ici.)
Gabriel Matzneff, Le Point, 23 octobre 2018.
• Pierre Boutang, La Fontaine politique, 1981, rééd. 2018.