« Un coup de pistolet tiré au milieu du concert », « une grenade dégoupillée »… Pour analyser l’œuvre de Bernanos, mieux vaut avoir du style et le sens de la formule – si possible virile. C’est le cas de Sébastien Lapaque, en particulier dans sa présentation lumineuse de La France contre les robots, essai visionnaire de 1947 scandaleusement négligé lors de sa sortie en librairie. C’est le grand mérite du critique du Figaro littéraire, dont on réédite la belle réflexion biographique publiée en 1998, augmentée de plusieurs textes inédits*, de situer ce subtil traité de guerre contre la Technique dans la continuité de l’œuvre monumentale bâtie par l’auteur de La Grande Peur des bien-pensants : sous le signe du combat. Car ce « romancier des âmes libres » fut effectivement, toute sa vie, un combattant. Physique, quand il maniait la canne de camelot du roi. Mais aussi politique. Esthétique. Spirituel. Après la Seconde Guerre mondiale, il était aussi incompris par les fidèles de Maurras, dont il s’était détaché depuis vingt ans, que par les chrétiens de gauche ou la bourgeoise de droite. Mais cette solitude allait bien au teint de celui qui rêvait d’« entrer au ciel en qualité de vagabond ». Ce fut le cas il y a soixante-dix ans, en juillet 1948, et on ne connaît guère de tombeau littéraire d’un marbre plus éclatant que le travail érudit et sensible de Lapaque, dont le profil de chevalier éternellement insatisfait et ulcéré par l’imbécillité et l’apathie du monde contemporain, correspond si bien à celui de son capitaine. Son maître.
Jean-Christophe Buisson, Le Figaro magazine, 18 mai 2018.