Héritière de l’empire d’Alexandre et d’un empire romain à bout de souffle, l’Europe chrétienne a d’abord eu deux têtes, Byzance et Rome ; mais le prestige impérial s’étiola à l’intérieur du christianisme même, et les charges administratives et militaires redevinrent fatalement inopérantes dans un empire trop grand où s’éveillait la personne en tant qu’esprit, image et temple divins : elles entraînèrent la chute de Rome sous la menace des barbares puis de Constantinople sous le joug ottoman. Ce furent les nations qui émergèrent en Europe et se constituèrent en États souverains autour de langues, de territoires et d’histoires nationales, constituant peu à peu la forme propre de la chrétienté et sa force éclatante dans le monde.
Le Christ s’il est roi (or messie veut dire roi) expose une autre idée de la souveraineté que celle de n’importe quel empereur et de ses obligés. Boutang précisera : « Il n’y a pas de pouvoir chrétien, mais une modification chrétienne du pouvoir ». « L’exousia (ἐξουσία), le pouvoir véritable, est l’acte de déposer sa vie par amour », explique-t-il. Le souverain (chrétien) authentique est donc celui qui porte en lui le souci de son peuple, identifie en lui jusqu’à la mort ce souci avec sa propre vie, et porte ainsi ce peuple à être et à durer.
L’expansion des croisades, dont la France particulièrement (et ses rois) tirerait un rayonnement universel, ne serait donc pas une résurgence des puissances païennes civilisatrices, mais procéderait au contraire de cette « modification du pouvoir » et de la force du sentiment national de défense autonome qu’elle implique : la chevalerie. (…)