La pensée anthume
par Michaël Bar-Zvi
170 pages, 14 €
Avec une force d’âme hors du commun, le philosophe atteint d’une maladie mortelle décrit la réalité de sa propre déchéance physique, sans jamais perdre sa détermination à exister dans l’histoire, ni sa dignité d’homme héritier du « malheur d’un destin ancien ».
Qu’est-ce qui fait vivre un homme à l’approche de la mort, quand le mal l’a atteint irrémédiablement ? Comment cela change-t-il ses relations à autrui ? La mort, dont on ne lui parle pas, de quelle manière est-ce qu’il y pense, est-ce qu’il l’ignore ? De quel œil regarde-t-il sa propre déchéance physique ?
Les convictions d’un caractère trempé, est-ce qu’elles se modifient à la fin ? L’introspection, la remise en cause, la culpabilité, le sentiment d’échec, la mélancolie dominent-ils ? Quand est-ce que le souci de l’œuvre à accomplir disparaît ?
Michaël Bar-Zvi n’a pas « voulu » répondre à ces questions, il a seulement continué à donner aux siens jusqu’au bout et à ce peuple qui est le sien « ce qu’il nous reste d’être » – et cela a produit ces notes étranges, comme venues d’ailleurs.
À plusieurs reprise il indique qu’il se confronte à « l’exil intérieur » et c’est avec un accent kafkaïen qu’il peut prononcer cette phrase : « Je vais essayer de vivre une journée normale ».
« Né pour les courtes joies et les longues douleurs », la douleur principale à laquelle il se confronte pourtant n’est pas physique, c’est que le temps (le temps de la maladie), « ce temps ne m’est pas donné ».
Dans cette situation les sujets habituels – discuter ceci, rapporter cela, plaisanter l’être et le néant – deviennent un exercice plus difficile, mais curieusement cette étrange nouveauté qui envahit tout, bouleverse tout et contre laquelle lui aussi voudrait bien s’arrimer ou du moins se tenir assez droit, ouvre en lui une intimité, permet une intrusion dans sa vie intérieure comme jamais.
Cette sorte de confession pourtant ne réduit pas l’écart entre lui et nous, elle montre plutôt l’ultime recès et la noblesse du combat qui s’y livre, citadelle intérieure, théâtre de la dernière bataille au plus près de la « chambre du roi » devant laquelle on ne dépose pas son arme et qui ne sera jamais livrée.
Ce dans quoi Michaël Bar-Zvi fut élevé, le souvenir au retour des camps, il le rejoint grâce à la simple vertu d’une vie traversée de bout en bout. Comme le lieutenant Drogo à la fin du Désert des Tartares, en s’approchant humblement de l’unique destin il donne un sens non seulement à tout ce qu’il a vécu dans la fidélité, mais à la geste de tous ceux qui forcément se rejoignent tôt ou tard dans la banalité de la mort. Il n’y a aucun obstacle entre les hommes puisqu’ils finissent, et l’exigence à leur égard ne s’éteint pas de par leur défection mais révèle à cette occasion une toute puissante douceur. En un sens c’est presque insoutenable.
Michaël Bar-Zvi est mort le 29 mai 2018 et ses mots peuvent remplir d’infinis regrets, mais le regret est peut-être le dernier don que l’on puisse recevoir de celui qui disparaît.
Comment franchir l’obstacle de l’altérité qui n’est en somme pleinement révélé que par l’amour, c’est-à-dire un respect infini ?
Ces textes apparaissent comme des derniers signaux en provenance d’un bateau déjà lointain, qui se raréfient à mesure qu’il s’écarte et cesseront tout à fait quand il disparaîtra au large.
La suite n’existe pas.
OV.
La Pensée anthume, de Michaël Bar-Zvi, est suivi de : « Les larmes du vieux », premier texte rédigé par Michaël Bar-Zvi à propos de Pierre Boutang.
Vient de paraître :
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« Être nationaliste ne veut pas dire se suffire à soi-même, ne plus avoir besoin de l’autre, mais être authentique. »
Michaël Bar-Zvi, Être et exil.
« Michaël Bar-Zvi demeure avec ce livre, comme son titre l’indique, tout entier placé dans le centre profond de l’existence, dans cette vie que la mort ne saurait renverser. »
Rémi Lélian, L’Incorrect.
« Se tenir dans la dimension sacrée du temps. »
Richard Millet,
Revue des deux mondes.