Une lettre d’outre-mer
Objet : « Israël et la France »
Cher Olivier Véron,
J’espère que vous n’avez pas pensé une seule seconde que je vous ai oublié, vous et les provinciales. Mais je suis en ce moment très occupé par un changement radical avec ce que je pourrais dénommer le « métier ». Je romps définitivement avec l’édition traditionnelle, les explications de cette décision ont été rendues publiques il y a trois semaines environ. La difficulté de l’opération est un peu à la mesure du siècle, ô combien merveilleux, qui nous attend.
Je comprends fort bien votre requête et sachez que j’aurais grand plaisir à lire les ouvrages que vous vous apprêtez à publier.
Je crois que Taguieff est votre homme. C’est un gaillard solide et réellement érudit, et dont les connaissances « académiques » sur les relations judéo-françaises – et même judéo-européennes – dépassent de très loin les miennes.
Je vous épargnerais tous les détails qui forgent la vie d’un écrivain aujourd’hui, mais je suis dans l’obligation regrettable de devoir décliner votre offre, non pas qu’elle me désintéresse, tout au contraire : elle risquerait de détourner durablement mon attention de l’écriture d’un roman pour lequel, je ne vous le cacherais pas, je n’ai pas droit à l’erreur, quelle qu’elle puisse être.
Je suivrais avec la plus grande attention l’évolution de vos divers projets, en mémoire de Pierre Boutang, qui fut, grâce à vous, une des révélations majeures du tournant de ce siècle.
Nation audacieuse et originale, voilà qui aurait pu m’emmener fort loin, je suppose, beaucoup trop loin, en fait.
Je suis sincèrement désolé de devoir vous répondre ainsi par la négative.
Comptez toujours sur mon soutien, qu’il s’agisse des écrits de Pierre Boutang – auquel plus personne ne s’intéresse aujourd’hui, qui s’en étonnera ? – que de votre persévérance et votre courage à rester, envers et contre tout, du « mauvais côté de la pensée », autant dire pas celui des tendances dominantes.
Les événements en cours dans le monde arabe laissent à penser que, contrairement à ce qu’ont affirmé avec péremption la cohorte habituelle des petits profs experts-en-tout, et dûment diplômés es-nihilisme, l’Histoire, non seulement n’est pas « terminée », mais elle ne fait que commencer.
Après tout, nous sortons tout juste du néolithique, c’est sans doute le simple auteur de science-fiction qui vous parle, en ce moment présent.
Avec toutes mes sincères amitiés transatlantiques,
Encore une fois, merci de votre présence,
Bien à vous
Montréal, Canada, le 22 mars de l’An de Grâce 2011.
Maurice G. Dantec † le 25 juin 2016