« Un parcours initiatique en six étapes, couronné par un « shabbat » symbolique, à travers l’idée de nation dans la pensée juive »
C’est à la source de son expérience personnelle comme de sa culture encyclopédique que Michaël Bar-Zvi, professeur à la Faculté d’Education de Tel-Aviv, a puisé la matière de cette étude philosophique de haute tenue, qui s’éclaire ça et là d’emprunts à l’histoire et à l’étymologie hébraïque. L’auteur y invite le lecteur-aventurier à le suivre dans un parcours initiatique en six étapes, couronné par un « shabbat » symbolique, à travers l’idée de nation dans la pensée juive. Une analyse de concepts ambitieuse qui s’appuie sur les piliers fondateurs du judaïsme, ainsi que sur les courants majeurs à l’œuvre dans l’histoire plurimillénaire du peuple d’Israël. D’emblée, le philosophe pose le postulat d’une relation ontologique de la judéité à la nation, « un lien selon l’être et non […] une acquisition ou une attribution ».
Après avoir établi les bases conceptuelles de sa recherche (la notion d’appartenance et le sens de la fidélité dans le judaïsme, « la crise de l’être » que constitue la séparation fondamentale de l’exil, le souci de soi-même et d’autrui, inspiré par Hillel…), l’auteur poursuit son cheminement parmi les théories qui ont forgé ou contesté le nationalisme juif – considéré ici comme une « politique de la nation » et non comme une exacerbation du sentiment national. De la Torah au post-sionisme, en passant par Amos et Isaïe, Saadia Gaon, Abravanel, les « Biluim » et Amants de Sion, les « maskilim », les bundistes et bien sûr toutes les grandes figures du sionisme, « surprise philosophique de la fin du XXe siècle et du début du XXIe siècle » (Herzl, Nordau, Pinsker, le rav Kook, Buber, Jabotinski…), l’étude s’attache à « dégager les attributs d’une nation telle que les penseurs juifs l’ont perçue ».
Plus personnelle, la dernière partie de l’ouvrage pénètre la dimension politique du concept de nation juive, incarné aujourd’hui par l’État d’Israël, sujet de bien des questionnements philosophiques. Michaël Bar-Zvi y réfute avec vigueur et pertinence les thèses des tenants d’une opposition entre le lien physique à la terre exalté par le sionisme et la transcendance spirituelle du judaïsme, et met en garde le lecteur contre ces partisans de la normalité et de l’universalisme qui ne prônent rien d’autre qu’un retour à l’exil « par le biais du multiculturalisme, du droit à la différence et du postmodernisme ». De fait, « le but du sionisme n’est pas la préservation d’un territoire par un État, mais la réalisation de l’être juif par des moyens politiques. Il ne s’agit pas de défendre des pierres ou des territoires, mais d’accomplir une mission historique et spirituelle par le biais d’un État […], de redonner son sens au texte par le retour à la terre ancestrale ».
Au terme de cette expédition existentielle au cœur de la nation juive, l’on mesure à quel point le sionisme bâtisseur a su restituer sa « dimension nationale à l’être juif », définitivement libéré de l’exil. Et l’on réalise les périls d’une « remise en cause de [ce] lien moral entre la terre et l’État, [qu’on] appelle nation ». Livre engagé s’il en est, Être et exil n’en recèle pas moins la puissance d’une démonstration rigoureuse et particulièrement édifiante.
Yaël Simon, Tribune Juive.