Clément Fayol, L’Informé : « Foutriquet : la folle histoire d’un livre qui entache la réputation de Michel Onfray »

Le célèbre philosophe s’est-il trop largement inspiré de l’ouvrage d’un autre auteur pour publier son pamphlet anti-Macron au printemps 2022 ? C’est ce qu’estime aujourd’hui le tribunal judiciaire de Paris dans une ordonnance en référé qui évoque un acte de « parasitisme ».

C’est une petite humiliation que vient d’infliger à Michel Onfray Jean-Christophe Gayet, le Premier Vice-Président adjoint du tribunal judiciaire de Paris. Dans une ordonnance de référé consultée par l’Informé, le magistrat a estimé que le prolixe philosophe – plus de 115 ouvrages au compteur – avait fait acte de « parasitisme ». En clair, son livre Foutriquet, un pamphlet anti-Macron publié en mars 2022 à plus de 40 000 exemplaires, s’inspirerait trop largement de Précis de Foutriquet sorti en 1981 sous la plume d’un autre philosophe, Pierre Boutang, et réédité l’an passé. Certes, il s’agit d’une procédure d’urgence qui ne présage en rien du jugement sur le fond qui interviendra ultérieurement. Mais, c’est une première défaite pour Onfray dans cette tortueuse affaire.
Pour mieux la comprendre, il faut revenir à ses origines. Tout a commencé à l’initiative d’un petit éditeur, Les provinciales. C’est lui qui durant l’été 2021 propose de confier au philosophe star la rédaction d’une préface pour la réédition de Précis de Foutriquet. L’idée est de publier à nouveau ce texte qui visait à l’époque Valéry Giscard d’Estaing, candidat à sa réélection dans un contexte similaire de scrutin présidentiel. La maison d’édition du Dauphiné veut que le livre paraisse avec pour arrière-pensée non dissimulée de tracer un parallèle entre VGE et Emmanuel Macron. Michel Onfray accepte.
Le 7 février 2022, l’auteur du Traité d’athéologie envoie son texte. Le même jour, Olivier Véron, patron des provinciales, lui retourne ses impressions par mail : « Sauf votre respect, il me semble que vous avez fait un léger lapsus dans votre compréhension ». L’éditeur estime que dans sa préface, le philosophe a confondu les mots « nihil » et « hile ». Un détail étymologique qui induit un contresens total dans la compréhension de l’analyse de Pierre Boutang. Ce métaphysicien, Michel Onfray le connaît pourtant très bien. Il a suivi ses cours à la Sorbonne. Mais face à la demande de correction de l’éditeur, la sanction tombe : « Alors on dira que votre “ confraternelle correction ” me contraint à vous demander qu’on en reste là : veuillez ne pas utiliser cette préface qui n’est pas digne de son sujet », s’emporte Michel Onfray. Puis il insiste en réponse aux arguments de l’éditeur, et alors que le livre devait partir à l’impression quelques jours plus tard : « Je vous interdis de publier cette préface ».

L’affaire aurait pu en rester là, celle d’une fâcherie entre un auteur et un éditeur. Mais elle prend une tournure très conflictuelle le 2 mars 2022. À quelques semaines de la présidentielle, Michel Onfray publie Foutriquet (Albin Michel), un pamphlet anti-Macron, construit avec des chapitres proches de ceux de Pierre Boutang mais sans aucune référence à ce dernier – dont Les provinciales sont les ayants droit – au Précis de Foutriquet ou au projet avorté de préface. Et donc évidemment aucune mention de l’éditeur qui lui avait soumis l’idée de ce parallèle au cœur de l’idée du bouquin d’Onfray.
Pas découragé, Olivier Véron republie comme prévu le 23 mars Précis de Foutriquet. Il en a rédigé lui-même la préface. Taquin, il appose sur la couverture « Sans préface de Michel Onfray » et déballe le malentendu à ses lecteurs. Le trait déclenche l’ire de Michel Onfray. Dans une mise en demeure envoyée aux provinciales par son avocat Alexis Guedj, il exige la destruction des 1 500 exemplaires imprimés avec une demande d’astreinte de 300 euros par jour. Simultanément, il saisit le Tribunal de Paris en référé pour la destruction des livres et sur le fond pour « contrefaçon de droits d’auteur » et « parasitisme ».

Qui parasite qui ?

Comme on l’a dit, la suite se révèle très dure pour Onfray. Alors qu’il n’était fondé qu’à se prononcer sur l’urgence de détruire les exemplaires de la réédition, le juge des référés rentre dans le fond du dossier. Il constate la proximité des titres des ouvrages Foutriquet et Précis de Foutriquet, l’identité de la thématique choisie, l’imitation de l’intitulé de quatre chapitres de l’ouvrage Foutriquet par l’usage d’adjectifs péjoratifs avec un suffixe en -eur (à l’instar des trois chapitres du Précis de Foutriquet), la concomitance des dates de parution des deux ouvrages. Le magistrat rappelle aussi que « M. Onfray a reconnu avoir découvert le mot foutriquet grâce à Pierre Boutang ». Des éléments et une chronologie accablants qui poussent le juge à conclure que Michel Onfray « a volontairement et déloyalement tiré profit des investissements de la SARL Les provinciales en vue de la réédition du Précis de Foutriquet ». Contactés à ce sujet, ni Michel Onfray, ni son avocat n’ont répondu aux questions de L’Informé.
Mais Olivier Véron en a aussi pris pour son grade. (…)
Contacté, Olivier Véron conteste tout parasitisme et insiste sur la chronologie des événements. « Michel Onfray avait eu Boutang comme professeur et avait été impressionné alors par son pamphlet. Nous attendions le texte auquel il s’était engagé. La couverture était prête avec la mention “ préface de Michel Onfray ”. Une fois le différend apparu et la rétractation formulée, l’éditeur affirme avoir voulu rectifier et empêcher de se répandre une erreur de compréhension qui donnait une image erronée de la pensée de Pierre Boutang : « Si nous avons écrit finalement “sans préface de Michel Onfray”, c’est pour avertir et pour être exact. Ce n’était pas comme il le croit pour nous servir de ce nom qui nous était devenu préjudiciable, mais pour nous en démarquer. »
Au terme de son ordonnance, qui renvoie finalement les deux parties dos à dos, le tribunal judiciaire de Paris a suggéré la nomination d’un médiateur en guise d’apaisement. Mais Michel Onfray a fait appel.

Clément Fayol, L’Informé, 10 mai 2023.

 

 

 

• Pierre Boutang, Précis de Foutriquet [1981], réédition Les provinciales, 2022, « sans préface de Michel Onfray ».