Proscrit. Trois livres et un recueil d’études consacrées à son œuvre témoignent de la fécondité inentamée de l’écrivain honni par les dévots de la bien-pensance, comme de la place majeure qu’occupent ses ouvrages dans le panorama de la littérature contemporaine.
D’un bouc émissaire, la foule n’attend rien d’autre que l’assomption des fautes de la communauté. Qu’il endosse, et expie, et meure, sans se plaindre, sans se justifier, sans même proférer une parole. Que l’on jette sur lui les pelletées de terre de l’oubli et qu’il n’en soit plus fait mention. Jamais.
Depuis la parution de Langue fantôme suivi de Éloge littéraire d’Anders Breivik (Pierre-Guillaume de Roux), en 2012, Richard Millet est ce bouc émissaire, comme Céline le fut avant lui. Lynché par la presse, objet d’une pétition “vertueuse” d’écrivains de second ordre mus par le ressentiment, chassé du comité de lecture de Gallimard, maison d’édition à laquelle il avait contribué à faire obtenir de grands prix littéraires, assigné à résidence avec, pour toute compensation, la lecture de quelques manuscrits, puis évincé des programmes de son éditeur, l’écrivain est désormais un banni, un réprouvé, condamné à l’indignité nationale et à la mort sociale et qui ne peut survivre, en tant qu’auteur, que chez de “petits éditeurs” — Pierre-Guillaume de Roux, Léo Scheer, Les Provinciales — qui sont l’honneur de ce métier.
Sans même la perspective de voir ses livres chroniqués dans les médias, tant l’excommunication est efficace et répandue la lâcheté. Dans la Rome antique existait le rituel de la damnatio memoriæ, qui frappait après leur mort des empereurs ou des personnages publics décrétés indignes pour leurs crimes. Déchus de leurs honneurs, leurs noms effacés des monuments et des actes publics, leurs statues renversées, le jour de leur naissance proclamé néfaste, ils étaient voués à l’exclusion de cette mémoire collective qui s’appelle l’Histoire. Comme s’ils n’avaient jamais existé. Ainsi, les sicaires et les procureurs du parti du Bien voudraient-ils qu’il en soit de Richard Millet : un écrivain fantôme, condamné à errer jusqu’à la fin de ses jours dans les cercles dantesques de l’enfer littéraire (…)
Bruno de Cessole, Valeurs Actuelles n°4119 du 5 novembre 2015.
Richard Millet : Tuer, Éditions Léo Scheer, 128 pages, 15 € ;
Solitude du témoin, Éditions Léo Scheer, 180 pages, 17 € ;
Israël depuis Beaufort, Les provinciales, 120 pages, 12 €.
Lire Richard Millet, sous la direction de Mathias Rambaud, Pierre-Guillaume de Roux, 320 pages, 23,90 €.