Algérien et communiste, le cinéaste Jean-Pierre Lledo a longtemps refusé de mettre les pieds en Israël avant de renouer avec ses racines juives maternelles et de fouler la terre promise. Un voyage intime et intellectuel qu’il raconte dans un film-fleuve en quatre parties
C’est en 2008 que Jean-Pierre Lledo a foulé la première fois le sol israélien. Une partie de sa famille y réside pourtant, depuis que son oncle maternel a quitté l’Algérie en 1961 pour s’y installer. Mais, il n’avait plus jamais eu de contact avec lui et ne s’est pas déplacé non plus pour assister à son enterrement, il y a dizaine d’années de cela. Longtemps, ce pays, terre promise de nombreux juifs au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, lui avait été interdit. « Ou plutôt mes appartenances antérieures me l’avaient interdit, explique-t-il. Là d’où je viens, l’Algérie et le communisme, Israël est un tabou. »
Fils d’un militant communiste d’origine catalane et d’une mère juive, restés en Algérie après l’indépendance, Jean-Pierre Lledo a attendu d’être chassé de ce pays en 1993 sous la menace des islamistes et de se retrouver en délicatesse avec les autorités pour se défaire peu à peu du poids de cette histoire.
Son dernier documentaire Algérie, histoires à ne pas dire ayant été sélectionné par le festival de Jérusalem, il a accepté pour la première fois de faire le voyage en Israël sur les conseils de sa fille Naouel. Et c’est avec elle qu’il y est revenu trois ans plus tard pour réaliser avec l’aide de Ziva Postec, la monteuse de Shoah, ce film-fleuve (11 heures), sorte de quête intellectuelle autant qu’identitaire visible dans les salles en quatre parties.
Un road-movie identitaire
Le cinéaste nous embarque, caméra au poing, dans ce road-movie intime à la rencontre des membres de sa famille qu’il ne connaît pas, mais aussi d’amis ou de personnalités qui tentent de l’éclairer sur la nature de ce pays et la signification du mot « juif ». Pour lui, le marxiste et l’incroyant, le terme s’est longtemps résumé à la seule religion.
« Il ne s’agissait pas d’un peuple, encore moins d’un pays », explique-t-il. Avec sa seule curiosité pour guide, il se rend sur les lieux de l’Histoire, partage les fêtes et les commémorations, retrouve les odeurs de son enfance au marché de Mahanne Yehouda, s’émerveille de voir juifs et arabes cohabiter dans le même pays et découvre dans les kibboutz, l’idéal révolutionnaire et égalitariste qui a présidé à la création de l’État d’Israël.
Nulle objectivité à attendre du cinéaste – qui se garde bien d’ailleurs d’évoquer le conflit israélo-palestinien – dans ce cheminement personnel au cours duquel il se défait de son ignorance et de ses préjugés vis-à-vis du pays pour renouer avec une identité longtemps refoulée. Mais il y a des rencontres poignantes, des personnages atypiques – comme un ancien hippie américain devenu rabbin –, ainsi que les multiples histoires racontées par tous ceux qui un jour ont trouvé, ici, un refuge. La volonté de transmission incarnée par la présence à l’écran de sa fille fait par ailleurs de ce voyage interdit un touchant retour aux origines.
Céline Route, La Croix, 7 octobre 2020.
• Assistez aux premières projections du film à partir d’aujourd’hui (première partie mercredi 7 octobre, deuxième partie le 14 octobre, troisième partie le 21 octobre, quatrième partie le 28.)