Pourquoi Rome a-t-elle persécuté les chrétiens ? Et pourquoi n’a-t-elle pas persécuté les autres religions dont certaines étaient effroyables ? Pourquoi ?
L’Église a une histoire universelle au sens plénier du terme. Elle a aussi une histoire politique, et donc une histoire de « pouvoir », elle est même elle aussi de nature politique, selon son essence, et donc depuis le premier instant de son existence. C’est une hérésie de le nier, ou un aveuglement. Les paroles si souvent citées du Christ au cours des siècles « Donnez à César ce qui est à César » n’ont aucun sens s’il n’y a pas quelque chose que l’on ne doit justement pas lui donner, si des limites ne sont pas posées à son pouvoir, en ce monde déjà, justement par celui-là même qui a prononcé ces paroles et dont le royaume n’est « pas de ce monde ». Le Christ devant Caïphe, le Christ devant Pilate : il prononce des paroles qui sont aussi de nature politique, car il parle de l’origine du pouvoir et il règle ses compétences. Et comme le Maître, ainsi firent ses apôtres Pierre et Paul, ainsi firent ses représentants. L’histoire de l’Église du Christ est aussi une histoire radicalement différente des nombreuses « religions », remarquables, et partiellement abominables, envers lesquelles Rome, la réalité la plus politique de l’histoire de ce monde s’était montrée tolérante d’une certaine manière comme nul État ou empire avant elle, ni après. Pourquoi Rome a-t-elle persécuté les chrétiens, dès le premier moment de l’histoire de l’Église, alors que Pierre était évêque de Rome et premier pape, et ceci en raison de leur Confessio, et pourquoi n’a-t-elle pas persécuté les nombreuses autres religions parmi lesquelles pourtant certaines étaient effroyables ? Pourquoi ? La question est simple et directe, la réponse peut l’être aussi ! La question a été posée à la « plénitude des temps », une notion – je le répète – théologique, révélée qui n’est pas invention d’un historien génial, et la réponse est déjà dans la question, elle engage le présent et l’avenir. Les chrétiens ont été persécutés par l’État romain au nom d’un comportement que ce dernier considérait comme politique : parce qu’ils voulaient certes donner à César ce qui est à César (sans se laisser dépasser par quiconque sur ce terrain) mais ne voulaient pas lui donner ce qui ne revenait qu’à Dieu, et parce qu’ils croyaient qu’il ne revenait qu’à l’autorité de l’Église de décider ce qui était à César et ce qui ne l’était pas – des avis de toutes sortes peuvent en effet se faire jour. Le plus élevé décide de ce qui est inférieur ; même parmi des pairs, il y aurait encore un premier.
Theodor Haecker, Le chrétien et l’histoire, pp. 126-127, traduit de l’allemand par Jacqueline et Cécile Rastoin, © Les provinciales.