Dans la conversation que Geoffroy Scrive vient de mener avec Richard Millet, celui-ci dit :
« Ce Journal résume les dix années qui m’ont fait passer de chez Gallimard au “Goulag” ou à la Relégation, dans la grande banlieue c’est-à-dire nulle part, d’une certaine façon. Depuis quatre ans, depuis que je suis veuf, le Journal a pris une importance encore accrue et il me sert presque de fil d’Ariane, dans un labyrinthe dont je vois finalement à peu près l’issue mais dont je ne connais pas encore très bien le chemin. »
« Je me souviens que Philippe Sollers, une fois, m’avait dit : « Mon cher Richard, vous avez quelque chose de terrible, c’est que vous avez donné des noms et il ne faut pas donner de noms ». C’est comme dans la mafia, le milieu littéraire. J’avais dit tout le mal que je pensais de ***, par exemple. C’est la raison principale de mon éviction du Système, ce n’est pas le texte sur Breivik : c’est d’avoir attaqué les grandes vaches sacrées et d’avoir dit qu’au fond, c’était creux. »
« On n’a pas lu le texte (sur Breivik). Si cela avait été un véritable éloge, je serais passé au tribunal, puisque c’est un terroriste. Ça n’a pas été le cas, donc l’éloge était ironique. »
Ni regret ni amertume mais :
Comment faire en sorte que ma pauvreté soit encore une force ?
« Je crois qu’au fond cette affaire d’il y a douze ans m’a permis de devenir pauvre (au sens symbolique, disons) et cette pauvreté m’a servi à devenir peut-être davantage ce que je suis. »
« Je pense qu’aujourd’hui la question du témoignage, donc du témoin, est une question cruciale. Premièrement les gens ne regardent plus rien, n’entendent plus rien, et peut-être même ne veulent plus rien voir. En revanche, ce qu’ils igorent c’est qu’ils sont vus, eux, et que ce qu’ils voient ou prétendent voir ou avoir vu est en réalité une vison qui leur a été dictée par la propagande, l’idéologie du Système. Il y a un refus de voir, donc un refus de témoigner (si vous êtes écrivain). Ne voulant pas voir on construit un monde idéal ou préfabriqué, ce qui est extrêmement inquiétant, on s’ éloigne de la vérité extrêmement loin. Guy Debord nous disait que « dans un monde entièrment inversé, (c’est-à-dire le nôtre) la vérité, le vrai n’est plus qu’un moment du faux. »
Conversation avec Geoffroy Scrive :