Charles Maurras fait encore peur (1). C’est la leçon de l’épisode tragi-comique qui a agité le landerneau parisien ces jours-ci. À peine le nom de l’ancien théoricien de l’Action française est-il apparu dans la liste officielle des commémorations de l’année qu’un concert de protestations orchestré a conduit la ministre de la Culture à baisser pavillon sans combattre et à supprimer prestement le nom interdit.
Pourtant, comme le font remarquer les historiens qui ont établi cette liste, commémorer n’est pas célébrer. La République a un devoir d’évocation de toutes les gloires de notre pays, sans jugement de valeur idéologique. Sinon, elle devient un régime sectaire qui, à la manière de Staline, efface de la photo nationale ceux qui se sont opposés au pouvoir. En censurant ainsi le nom de Maurras, certains voudraient accréditer l’idée que les fameux « États confédérés » (Juifs, protestants, francs-maçons, métèques) gouvernent encore la République qu’ils ne s’y prendraient pas autrement !
Les maurrassiens, premiers à Londres
Il est paradoxal qu’à l’heure où l’on ne cesse de vouloir « réconcilier les mémoires » (de la guerre d’Algérie en particulier), on se refuse obstinément à réconcilier celles de la Seconde Guerre mondiale. Mais nos belles âmes continuent à célébrer des intellectuels comme Sartre ou Aragon, qui ont applaudi des régimes totalitaires et sanguinaires, sans qu’on songe à le leur reprocher.
Le destin posthume de Maurras s’est joué en 1940. Le chantre du nationalisme intégral soutient Pétain, refusant de choisir entre les gaullistes pro-Anglais et les collabos pro-Allemands. Les deux sont pourtant ses héritiers: les premiers à rejoindre de Gaulle à Londres furent des maurrassiens soucieux de continuer la lutte ; mais d’autres élèves de l’Action française lui reprochèrent aussi sa germanophobie qui l’empêchait de militer pour une Europe unie.
Maurras était anti-allemand et anti-nazi. Il n’était pas raciste et se moquait du racisme des nazis. Son antisémitisme était un antisémitisme d’État, qui reprochait aux Juifs un pouvoir excessif en tant que groupe constitué, à la manière de Richelieu luttant contre « l’État dans l’État » huguenot.
Mais ces considérations politiques subtiles furent balayées par la Seconde Guerre mondiale. Maurras ne comprit pas que celle-ci n’était pas seulement une lutte entre États, mais aussi une lutte entre idéologies. Que ses diatribes contre l’État dans l’État juif étaient impardonnables au moment où des Juifs étaient exterminés dans des camps. Quelques années plus tard, son plus brillant disciple, Pierre Boutang, le reconnut volontiers et prit parti pour l’Etat d’Israël, qui s’avérerait un bel exemple de « nationalisme intégral » pour le coup très maurrassien.
Il y eut une époque, pas si lointaine, où l’on pouvait évoquer Maurras sans peur ni reproches. De Gaulle a dit: « Maurras est devenu fou à force d’avoir toujours raison. » Le président Pompidou le citait devant les étudiants de Sciences Po. Raymond Aron s’interrogeait dans Le Figaro: « Le général de Gaulle est-il maurrassien? » Nous vivons une époque merveilleuse où l’inculture fait la paire avec le sectarisme.
Éric Zemmour, Le Figaro du 2 février 2018.
(1) Au moment où l’on veut « réconcilier les mémoires », la ministre de la Culture refuse de commémorer la mémoire de l’écrivain et caricature au passage sa pensée.