Après une très rigoureuse introduction sur l’art de Paul Klee, ce livre étudie Voltaire à partir des images que vers 1911 le peintre réalisa pour illustrer Candide : « Sur quel violon résineux ont été raclés ces traits exagérément multipliés, ces limailles longues en quarts et même huitièmes de ton, ces monades d’échardes comme irritées et hurlupées… »Lorsqu’il décrit ces personnages au tracé d’encéphalogramme, Chaufour tisse des phrases qui leur ressemblent, dont le « tremblé » n’est pas celui de l’hésitation mais d’une détermination amoureuse. Car c’est d’Éros qu’il est question. Un Éros que Klee reconnaît jusque dans la « nature naturante » mais auquel Voltaire ne cesse d’opposer son déni : « Hélas ! Je l’ai connu, cet amour, ce souverain des cœurs, cette âme de notre âme ; il ne m’a valu qu’un baiser et vingt coups de pied au cul. » Chaufour fait tomber la statue de son piédestal : Candide est un « anti-éros », en français vivant un « antérot ». Quant à Voltaire, une lecture attentive de ses textes nous le révèle ignare en théologie, raciste enthousiaste, partisan de l’esclavage et furieux antijuif. Au temps de l’hitlérisme, un certain Henri Labroue n’eut pas de mal à composer un livre antisémite en compilant les écrits du sage de Ferney. L’Essai sur les mœurs eût suffit à la besogne : « Les Juifs assassinent leurs maîtres quand ils sont esclaves ; ils ne savent jamais pardonner quand ils sont vainqueurs : ils sont les ennemis du genre humain. » Aussi est-ce en vrai disciple que le Réseau Voltaire, pour « la promotion de la liberté et de la laïcité », eut des liens avec le Hezbollah, Chaufour nous rappelle que le catéchisme de l’honnête homme suffit à constituer un bréviaire de la haine.
Fabrice Hadjadj, Art Press n°356, mai 2009.