Florent Barraco, Le Point : « Les morts gouvernent les vivants. »

 

Bernanos nous parle encore

Essai. Auguste Comte avait prévenu : « Les morts gouvernent les vivants. » Sébastien Lapaque, dans la réédition – augmentée de textes inédits – de son ouvrage sur Georges Bernanos, confirme cette intuition : « Le corps d’un écrivain, c’est son œuvre. Promise à la résurrection, elle attend ce jugement qu’est la postérité. » Le critique du Figaro littéraire, sans grandiloquence exagérée, célèbre les qualités de ce prophète ignoré de (presque) tous. En 1944, son essai « La France contre les robots » est visionnaire. Bernanos annonce tous les maux que le progrès technique (machines et, par extension, l’informatique) va nous apporter : déclassement économique, inégalités, pensée robotisée et même affaiblissement de la langue. « Vainqueurs ou vaincus, la Civilisation des machines n’a nullement besoin de notre langue. (…) La langue française est une œuvre d’art, et la Civilisation des machines n’a besoin pour ses hommes d’affaires (…) que d’un outil, rien davantage. » À l’heure où le scandale des fuites de données personnelles éclabousse le géant Fabebook, on songe à cet avertissement de Bernanos : « Un monde gagné pour la Technique est un monde perdu pour la liberté. » De la monarchie à la chrétienté, Lapaque aborde les visions lumineuses de l’auteur de « Sous le soleil de Satan ». Pourtant, en 1948, à la veille de sa mort, Georges Bernanos s’inquiétait : « Mon pays, mon pauvre pays, qui va le secouer après moi ? » 

Florent Barraco, Le Point n° 2389 du 14 Juin 2018.

Georges Bernanos encore une fois, de Sébastien Lapaque, Les provinciales, 184 pages, 18 €.