Dans ce livre dense (Michaël Bar-Zvi, Israël et la France, l’alliance égarée) l’auteur parcourt deux millénaires de relations entre la France, le peuple d’Israël et son histoire. Épopée exposée dans ses cathédrales, ses sculptures, sa liturgie, sa littérature, sur les toiles de ses musées et jusque dans les rituels et sacrements de sa monarchie. Cette présence d’Israël à travers les âges dans le christianisme et dans le monde intrigue les intellectuels et les ecclésiastiques. Avec un ton toujours équilibré et un style clair, Bar-Zvi explore les éléments de ce dialogue entre christianisme et judaïsme, entre Français et Juifs, captant, dans l’écoulement des siècles, l’essentiel de chaque période. À l’époque des Lumières, ce courant se matérialise par le décret français de l’émancipation des Juifs en 1791, suivi quelques années plus tard de leur entrée dans la nation française assortie de certaines conditions. Nous passons ainsi dans la transition entre judéophobie théologique et antisémitisme social.
Bar-Zvi évoque les Français chrétiens présionistes, la chaîne continue des penseurs proches du peuple juif et leur impuissance indignée au XXe siècle devant les abîmes de la Shoah. Beaucoup œuvrèrent alors à la réconciliation initiée par Vatican II et au rapprochement judéo-chrétien et franco-israélien. Mais l’esprit de Vichy survécut à sa défaite. Il se manifesta dès les années 60 dans l’élaboration d’un vaste projet d’unification méditerranéenne euro-arabe où la France entraîna toute la Communauté européenne. L’auteur nous en donne les étapes car ce processus intégrait l’érosion des valeurs culturelles et spirituelles judéo-chrétiennes. Bar-Zvi attribue la cause du déclin français au renoncement à son patrimoine et à ses racines. Aujourd’hui, à une époque de déconstruction identitaire, historique, nationale et religieuse au niveau intra-européen et intégrée aux choix stratégiques de l’Union européenne, que vaut cet héritage ? Travail tout à la fois d’historien et de philosophe, le livre de Bar-Zvi ouvre des chantiers de réflexions très actuelles.
Car ce dialogue, cette relation parcourant les siècles, où alternent le mépris, le crime et la haine – mais aussi l’estime, l’admiration, le courage fraternel et l’amitié –, se lit aujourd’hui avec une certaine mélancolie alors qu’il s’étiole sous nos yeux dans le marécage des illusions perdues.
Pour Bar-Zvi, la France contemporaine non seulement se dissocie de son patrimoine et de sa spiritualité biblique, mais elle s’efforce aussi d’en dissocier les Juifs et de les séparer d’Israël. Cette analyse pourrait s’appliquer aussi à l’Europe, comme si, pressentant l’anéantissement de son passé et son corollaire, la disparition qu’elle médite de l’État d’Israël, elle voulait ensevelir dans son suicide le géniteur haï qui l’a nourrie.
Cette évolution s’inscrit dans les choix arrêtés par la France dans les années 60 et qu’elle fit partager à la Communauté européenne dans la décennie suivante. Cette manœuvre consistait à fabriquer une civilisation méditerranéenne impliquant l’éradication d’Israël pour le remplacer par une entité jihadiste, la Palestine arabe créée par l’Union européenne (UE) dans ce but et dont elle n’a cessé d’en édifier le socle, assénant ses détournements sémantiques : esplanade des Mosquées, Jérusalem en Palestine, colonies israéliennes, etc. Aux Palestiniens, façonnés dans les chancelleries européennes en sosie du peuple juif pour s’y substituer, devait revenir l’histoire d’Israël, sa terre et Jérusalem. L’Europe y consacra des milliards d’euros, finançant une campagne de haine mondiale contre l’État hébreu, l’enveloppant d’un apartheid diplomatique soutenu par le jihad des boycotts. Ainsi orchestra-t-elle le retour en Europe de l’antisémitisme surfant sur la haine d’Israël. Aujourd’hui, acculée par les jihads intérieur et extérieur, traquée par la colère de ses propres populations, l’Europe s’emploie à remplacer au plus vite Israël par la Palestine afin que cesse le scandale d’un État hébreu souverain dans sa patrie. Aussi ne serai-je pas étonnée de la voir expédier ses bombardiers de l’OTAN couvrir de feu le sol israélien pour y faire naître la Palestine et remplir ses engagements envers le monde arabe.
Le livre de Bar-Zvi devrait être largement lu car, outre sa richesse culturelle, il amène le lecteur à se poser des questions essentielles : quel sera l’avenir d’une Europe qui, par haine de ses origines, dissout son passé dans le néant ? Car il est clair que, ennemie invétérée de l’État d’Israël, elle ne peut reconnaître son histoire dans la sienne et simultanément l’occulter pour le combattre, même si l’on recourt à divers subterfuges tels que la palestinisation de l’archéologie juive ou la négation de l’appartenance juive au peuple d’Israël. Une société de culture judéo-chrétienne peut-elle supprimer la morale de sa politique sans s’auto détruire ? Et enfin, pour les Juifs et Israël, comment surmonter ce dégoût désabusé suscité par l’échec si évident des réconciliations face à une Europe dont le langage compassionnel n’est que le masque de la duplicité et du cynisme pervers ?
Ce naufrage moral de l’Europe emporte aussi les ponts et l’espoir construits ensemble par des générations de juifs et de chrétiens. Comment agir devant le mal ? Que penser de cette Europe qui, se liguant contre Israël, complote ses attaques de l’OTAN pour parachever le pacte d’Hitler avec la Palestine et accomplir le souhait nazi : remplacer la Bible par le Coran ? Ultime acte de vassalité d’une Europe qui se protège, une fois de plus, par son allégeance au terrorisme. À la mission libératrice de l’homme maître de son destin que lui donna Israël, elle substitue, en se pliant au jihad, le joug de la soumission universelle.
Bat Ye’or, Commentaire n°150, été 2015, pp. 447-8.