J’ai lu avec passion et un très vif intérêt l’Autobiographie de Bat Ye’or. Lire ce récit est une respiration incroyable en même temps qu’une plongée dans l’histoire séculièrement glaçante de notre monde moderne. S’y dévoilent des épreuves de vie, corrélées à la grande Histoire de façon magistrale. Cela agit exactement comme si une pièce maîtresse avait manqué jusqu’à présent et se trouvait exposée sous la narration. Le simple lecteur ne fait qu’apprendre ou retrouver des éléments historiques, mais ils possèdent dans cette écriture une telle profondeur vivante qu’il est submergé par l’alternance des émotions. De l’histoire familiale aux perceptions intimes, il vogue en sentant parfaitement les aléas, les tumultes, les errances, les trésors. Puis, il est plongé dans les attaques sournoises des médias, les pièges des conférences truquées, le courage individuel d’une parole qui fait face à des événements d’une implacable rigidité. Il suit avec délice la jeunesse de l’auteur à Londres, avec en mémoire des phrases puissantes du premier chapitre décrivant son enfance puis l’expulsion des Juifs d’Égypte en 1957. Il est stimulé de façon cinématographique lors des séquences symboliques, des représentations, et par cette plongée – en apnée – entre la réflexion personnelle qui se construit, et le déroulement des faits.
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Ce livre est un défi simplement magnifique. J’ai relu plusieurs fois les passages sur Ellul et il est certain qu’il a su à quel point Bat Ye’or était en première ligne dans la tranchée qui prend les obus de propagande directement sur le casque. On est emporté par le récit, c’est un combat de la première garde, une sortie exceptionnelle qui force la considération au plus haut niveau. Après Soumission de Houellebecq, l’Autobiographie de Bat Ye’or nous reconnecte à une pièce maîtresse de la pensée ellulienne : l’impossible réforme d’une théologie coranique qu’il avait déjà esquissée. L’impossible auto-critique de l’islam en général par ses propres forces internes, et évidemment une analyse des complicités géo-économiques absolument sidérante en Europe.
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Étudiant en histoire, à vingt-deux ans je faisais déjà un très bon exposé sur Hassan El Banna, les Frères musulmans, organe de conquête européen des mentalités et mouvement sectaire fondamentaliste né lui aussi en Égypte, avant la deuxième guerre mondiale. Mais Bat Ye’or remet les pièces d’un puzzle dans l’ordre, elle possède le compas et son axe de lecture est comme le méridien qui ne varie pas : autour de cela, les constellations avec ses points d’appuis, les exemples, les illustrations de ses recherches vous plongent de façon rationnelle et sans ambiguïtés dans les rouages variés de la globale entreprise de destruction d’Israël, et de l’Europe. (…)
Jérôme Ellul, Commentaire (dir. Jean-Claude Casanova), n°162 (été 2018), pp 497-500).
• Autobiographie politique, par Bat Ye’or.
• Réédition chez le même éditeur de son étude Le Dhimmi.