(…) « Dans son court texte Israël depuis Beaufort (2015), [Richard Millet] qualifie Auschwitz d’“événement absolu”, dit tenir Shoah, le film de Claude Lanzmann pour un des grands films de l’histoire du cinéma, affirme comme catholique son lien profond au judaïsme. “Être antisémite, écrit-il, c’est se séparer de l’origine et de l’héritage.” Dès lors, faut-il s’étonner que le chrétien libanais de cœur qu’il est resté s’alerte des dangers pesant sur l’existence de l’État d’Israël, ce pays qu’il voyait enfant d’un œil envieux depuis le château de Beaufort ? Comment cet homme, avec lequel on peut être en désaccord, avec qui il est légitime de débattre, rudement s’il le faut, a-t-il pu être cloué au pilori avec l’étiquette infamante de “fasciste” et banni du milieu littéraire ? Pourquoi tant de haine ? Est-ce, lors de la guerre qui faisait rage en 1975 au Liban, l’engagement du jeune homme de vingt ans qu’il était auprès des chrétiens libanais qu’on lui fait payer ? Le pays où il avait longtemps vécu et qu’il considérait comme sa seconde patrie, faut-il le rappeler, était occupé par les combattants de l’OLP (Organisation de libération de la Palestine), groupe terroriste responsable notamment du massacre en 1972 à Munich, des onze membres de l’équipe olympique israélienne. Les fedayin étaient alors les héros chers au cœur des intellectuels de gauche en France (j’en sais quelque chose), quand les chrétiens libanais, les Kataëb, étaient considérés comme fascistes. Enfin, dernière raison à la présence de Richard Millet dans ce numéro d’artpress, et serait-elle la seule, elle aurait sa complète légitimité : Richard Millet est un écrivain important, reconnu et loué à juste titre par la critique pour ses romans, ses essais sur la musique, ses textes sur Marcel Proust, Georges Bataille, Maurice Blanchot, Pierre Jean Jouve, Thomas Bernhard, W. G. Sebald, Guy Debord, Claude Simon… Mais c’était avant « l’Affaire ». Affaire sur laquelle Richard Millet revient immanquablement dans l’entretien qui suit. » Suite ici :
(…) Richard Millet : — (…) L’islam veut effacer du Proche-Orient toute trace de christianisme pour ne laisser place qu’à la dialectique sunnite/chiite. Mais il y a aussi un tout petit pays, au bord de la mer Méditerranée, qui a pour nom Israël et qui nous rappelle qu’avant l’islam, avant le christianisme, il y avait le judaïsme.
Jacques Henric : Quel est justement votre lien de catholique à Israël ? Vous l’évoquez longuement dans votre livre Israël depuis Beaufort.
RM. — En tant que catholique, comment pourrais-je nier mon lien au judaïsme ? Et sur un autre plan, en tant qu’amoureux de la musique, comment ne saurais-je pas gré de ce que je dois aux compositeurs et interprètes juifs ? Mon enfance libanaise m’a rendu très tôt proche de ce pays, Israël, qui nous était interdit, qu’on ne pouvait pas même photographier, depuis le lieu où nous nous promenions, au sud du Liban, comme ce château de Beaufort, bâti par les croisés, et surplombant la Galilée.
JH. — Vous insistez beaucoup sur votre lecture de la Bible, de l’Ancien Testament, à l’exemple de Claudel.
RM. — Un petit éditeur, Les provinciales, a republié le texte de Claudel, Une voix sur Israël, un texte admirable, détaché de sa somme sur la Bible, et je m’inscris tout à fait dans cette concaténation. Je pense aussi au texte de Bloy, beaucoup plus difficile, le Salut par les juifs, livre que Kafka et Levinas admiraient. La Bible, oui, voilà qui nous ramène au commencement, avec son cortège de pères et docteurs de l’Église, de mystiques, d’écrivains… »