Après lecture du livre de Bat Ye’or, Autobiographie politique.
Lorsque le FIS-GIA passa à la lutte armée, en 1993, et qu’il commença par l’intellectocide inauguré par l’assassinat du jeune écrivain si prometteur, Tahar Djaout, je crus naïvement que l’Europe se lèverait comme un seul homme. Se proclamant « monde libre » face au totalitarisme communiste, ne s’était-elle pas mobilisée pour défendre les intellectuels et les artistes de « l’Europe de l’est » ? N’allait-elle pas aussitôt reconnaitre dans la « pensée » et plus encore dans les actions des islamistes, un fascisme authentique, un fascisme vert, comme le nommaient les démocrates algériens ?
Quelle ne fut pas la déconvenue de l’intelligentsia, des femmes qui s’étaient battues contre le Code de la Famille algérienne depuis les années 80, et de tous ceux qui refusaient que l’Algérie devienne une république islamique, qui selon un de ses chefs, Ali Benhadj, s’accommoderait du massacre et de l’exil de 2 millions de personnes ! La Suède fut une des premières à accueillir les chefs islamistes pourchassés par l’armée, suivie par l’Italie, l’Allemagne, sans parler de la bien neutre Suisse, au-dessus de tout soupçon… Quant à la presse, surtout de gauche, elle faisait des islamistes des martyrs, et des démocrates des suppôts du pouvoir. Et Anouar Haddam, dirigeant du FIS-GIA, pouvait tranquillement annoncer sa revendication des assassinats d’intellectuels… de Rome !
Longtemps, cette alliance objective contre-nature entre des gens qui se réclamaient des Lumières, et ce qu’il y avait de pire dans le monde musulman, me déconcerta. Je n’arrivais pas à en saisir la logique.
Plus tard, mon travail de cinéaste me fit revenir sur l’histoire de la guerre d’Algérie. Et en lisant le livre Les Accords d’Evian (Seuil) (censés mettre fin à la guerre à partir du 19 Mars 1962, ce fut, en fait, la plus sanglante des périodes, massacre des harkis, enlèvements des non-musulmans, et massacre d’Oran, le jour même de l’indépendance le 5 Juillet 1962, plus de 700 morts chrétiens, juifs, et « traitres » musulmans), je fus stupéfait d’apprendre par la plume d’un de ses négociateurs, Réda Malek, que ces « Accords » n’avaient été qu’un marchandage : en échange du pétrole que la France pouvait exploiter encore durant 10 ans (la nationalisation ne fut proclamée qu’en 1971), elle abandonnait sa revendication de la nationalité algérienne automatique pour les non-musulmans, c’est-à-dire qu’elle se faisait complice d’un des plus grands déplacements de population du XXe siècle : un million de chrétiens et de juifs qui préférèrent la valise au cercueil, selon le slogan du nationalisme algérien depuis 1945 ! Signé De Gaulle, promoteur de cette nouvelle Europe unie au monde arabe. Et Réda Malek pouvait pousser un soupir de soulagement : « Heureusement, le caractère sacré arabo-musulman de la nation algérienne était sauvegardé. »
Et donc en prenant connaissance d’une partie de l’œuvre de Bat Ye’or, malheureusement pour moi, trop tardivement, mon propre parcours idéologique m’ayant fait éviter toutes les lectures qui auraient pu remettre en cause mes convictions et plus encore mes refoulements, les choses commencèrent à s’éclaircir.
Pourquoi l’Europe du « monde libre » n’avait-elle pas exigé de Khomeiny qu’il annule immédiatement sa condamnation à mort de Salman Rushdie, acceptant que l’écrivain vive en clandestinité en Angleterre ? Même question pour le philosophe français Robert Redeker, obligé de quitter l’enseignement, pour une tribune au Figaro, dont le directeur crut bon se désolidariser, alors que l’idéo-théo-logue des Frères musulmans, Al Qaradaoui venait de s’en prendre violemment à lui, ce qui dans le monde islamique correspond à une condamnation à mort. Pourquoi avait-on laissé si longtemps un autre idéologue des Frères musulmans faire sa propagande tant dans les universités que plus encore dans les télévisions, (…) Tariq Ramadan. Pourquoi tant d’amour pour les dictateurs arabes de Sadam Hussein à Khadafi reçu comme un Prince sous sa tente plantée à l’Elysée ? Pourquoi ce tueur de chrétiens à grande échelle, Omar el-Béchir, échappait-il encore à la CPI qui pourtant l’avait accusé de « génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, commis durant la guerre du Darfour » ? Pourquoi l’Europe se taisait-elle lorsque l’Iran se permettait de nier l’existence d’un autre État (Israël) ? Pourquoi l’Europe ne n’avait-elle pas déclaré aux 57 pays musulmans qui s’étaient unis autour de la « Déclaration des Droits de l’homme… en islam », que la charia qui en est l’ossature, était incompatible avec le texte fondateur de l’ONU, la Déclaration universelle des droits de l’homme ? Pourquoi l’Europe avait-elle consenti à l’exode de millions de chrétiens du Moyen orient, du Liban à l’Irak ? Pourquoi l’Europe avait-elle offert le Prix Nobel à un assassin en Chef, qui avait tenté d’assassiner le Roi Hussein de Jordanie en 1970, commandité les massacres de chrétiens au Liban dans les années 70 et 80, et de juifs en Israël, et ailleurs par milliers (par exemple en 1974, ces 22 écoliers de Maalot), ou encore des sportifs israéliens en 1972, dans ce haut-lieu de la mémoire démocratique européenne, Munich, comme par hasard ?
A tous ces Pourquoi ?, des dizaines d’autres encore pourraient s’ajouter qui ont longtemps torturé mon désir de rationalité, qui jusque-là n’avait trouvé d’autres explications, qu’une folie suicidaire mais sans arriver à déceler les causes de la dépression, ou alors, en désespoir de raison, qu’une arabo-islamo-philie romantique maquillée en néo-orientalisme post-colonial… Maigre et vague. Autant dire que l’œuvre de Bat Ye’or fut mon sésame qui dépliait toute la panoplie des grands et petits arrangements islamo-européens. Et tout en prenant la précaution de signaler qu’elle n’était pas historienne, elle démontrait preuves à l’appui que s’était mis en place depuis les années 70, une stratégie qui pour sauvegarder des intérêts pétroliers, avait intégré de multiples diktats, politiques, idéologiques et migratoires, qui pouvaient ainsi se résumer : Pétrole contre Islam. Cette nouvelle diplomatie européenne, avait un précédent : en 1962, De Gaulle s’était fait les dents avec le FLN-ALN, et qu’il en fut l’initiateur n’avait plus rien d’étonnant.
Ces preuves, bizarrement, les détracteurs de Bat Ye’or, ne les citent jamais ! La véritable critique, non idéologique, ne devrait-elle pourtant pas commencer par là ? Ignare, elle allait jusqu’à attribuer à l’auteur l’invention d’Eurabia, alors que tel avait été l’intitulé d’un rapport de l’Association Parlementaire pour la Coopération Euro-Arabe (APCEA) de l’Union européenne qui préconisait : « la nécessité d’une entente politique entre l’Europe et le monde arabe comme base aux accords économiques ». (Et en 1994, cette association était forte de 650 parlementaires !).
Pétrole contre Islam, et faut-il ajouter, sur injonction de l’OCI (organisation des 57 pays musulmans) Pétrole contre Palestine. Et là encore, il ne s’agit pas d’une imprécation, mais bien des choses qui ont été écrites et que cite Bat Ye’or.
Tout devenait limpide, on pourrait même dire trop limpide, n’était-ce justement la quantité et la qualité des preuves citées, objectives, indépendantes de tout jugement, par définition imparables. Voilà donc pourquoi il devenait quasiment interdit et passible de la loi d’affirmer que l’islamisme avait un lien avec l’islam, sous prétexte que cela serait de l’islamophobie. Comme si le christianisme et le judaïsme n’avaient pas été passés au crible de toutes les critiques possibles… ! Voilà donc pourquoi, 30 ans à peine après que l’Europe ait décimé le peuple juif, elle acceptait de pactiser avec des pays et des mouvements qui avaient le même objectif, mais cette fois sous la forme d’un pays, renaissant, Israël. Voilà donc pourquoi cette Europe acceptait à l’UNESCO toutes les résolutions arabes qui visaient à islamiser le patrimoine juif, y compris le Kotel, (dit Mur des Lamentations), symbole le plus sacré du judaisme depuis la destruction du Mont du Temple, squatté à partir de la conquête arabe du VIIe siècle… ! Voilà donc pourquoi… Voilà donc pourquoi…
L’Europe s’était aplatie. Elle avait commencé à gommer ses propres marques identitaires, et à traquer ses intellectuels qui osaient encore dire au Roi qu’il était nu. L’Europe était devenue dhimmie. Et ironie du sort, elle reproduisait quasi-exactement le processus de dhimmisation de tous les peuples qui avaient subi la conquête arabo-musulmane de l’Afrique du Nord, à l’Espagne, jusqu’aux confins de l’Asie. Majoritaires, la plupart de ces peuples devinrent minoritaires, tout au long des siècles, et ce grâce à tous les ingrédients de la dhimmitude, statut discriminatoire, humiliant, et asservissant, qui déboucha pour le plus grand nombre sur la marginalisation, puis sur la perte d’identité, c’est-à-dire sur leur disparition, donc d’une manière très proche de que qui se passe aujourd’hui en Europe, et que certains appellent le grand remplacement…
On peut donc comprendre que les spécialistes en déni abhorrent ce concept de « dhimmi » et plus encore Bat Ye’or comme si c’était elle qui l’avait inventé ! La dhimma, comme elle ne cesse de le répéter, est un fondement de l’islam. Il est directement lié à la division islamique du monde entre Dar el islam et Dar el harb (Terre de l’islam/ Terre de la guerre), qui suppose un djihad idéologique et armé permanent. Lorsque le djihad militaire est mis en échec, on signe une trêve, un Accord de paix (comme celui de Houdaybiya du temps du prophète Mohamed, ou des Accords d’Oslo en 93 par Arafat). Mais lorsque le djihad est victorieux, alors on assigne les vaincus à la dhimma… Ce qui équivaut à une suspension de la peine mort, comme une épée de Damocles… Vie contre abaissement moral et physique, et déculturation.
Il est certes dur de se lever un matin et de se voir dans un tel miroir. Comment ne pas avoir une graine de compassion pour ces journalistes et ces historiens qui préfèrent les légendes à la réalité ? Otez-moi cette dhimma que je ne saurais voir…
Après L’Europe et le spectre du califat, et la réédition du Dhimmi, les éditions Les provinciales nous offrent cette splendide Autobiographie politique, De la découverte du dhimmi à Eurabia de Bat Ye’or qui n’est pas seulement un grand résumé de tous les livres précédents, mais aussi le portrait d’une femme courageuse et l’histoire d’une vie partagée avec le non moins courageux David Littman, qui se battit jusqu’à sa mort en 2012, sur le même front que Bat Ye’or, nous donnant un livre exceptionnel sur la réalité de la dhimmitude, l’Exil au Maghreb, La condition juive dans l’Islam (1148-1912), co-écrit avec Paul Fenton, et paru en français et en anglais, soit 800 pages de récits de voyageurs et de diplomates, et autant de preuves des joies de la dhimma, ce contrat entre « protecteur » et « esclave »…
Merci donc mille fois, Bat Ye’or et David Littman, qui ayant préféré ignorer les crachats de vos contempteurs, avez construit une œuvre forte car fondée sur la réalité et la vérité, qui deviendra l’emblème de la renaissance de cette Europe de la Liberté que nous chérissons, ou alors son épitaphe. Ci-gît l’Europe dhimmie (…)
La valise ou le cercueil, est plus que jamais d’actualité, au moins pour les minoritaires… Le peuple juif doit se sauver lui-même. L’expérience a montré maintes fois que personne ne le fera à sa place.
Jean-Pierre Lledo, pour Europe-Israël.org.