Alain Finkielkraut, il y a une quinzaine d’années, définissait Péguy comme un « mécontemporain », et Antoine Compagnon, il y a peu, le classait parmi les « antimodernes ». Il est vrai que le parcours de l’écrivain, du socialisme au patriotisme et de l’anarchisme au catholicisme, le situe à des années-lumière de la culture d’aujourd’hui. Mais il est vrai aussi qu’il ne saurait être enfermé dans des clichés. Notre collaborateur Rémi Soulié, qui a déjà publié plusieurs ouvrages sur de grandes figures de l’esprit français (Dominique de Roux, Aragon, le curé d’Ars), nous donne ici un merveilleux petit livre, qui constitue à la fois un portrait de Charles Péguy et une méditation sur sa vie et son œuvre. Accrochant ses chapitres aux pérégrinations du poète, d’Orléans à la Lorraine et du Parisis à la Beauce, l’auteur décrit un Péguy plus contrasté qu’il n’y paraît, parfois écartelé, qui apaisera ses contradictions dans l’espérance chrétienne et dans l’amour de la France, deux formes de foi qui se soutiennent l’une l’autre et qui communieront dans son sacrifice suprême, le 5 septembre 1914, devant les lignes ennemies. « Ni intelligent ni volontaire, ni sentimental ni vague, souligne Rémi Soulié, Péguy conçoit le christianisme comme l’intrication mystique du charnel et du spirituel, du temporel et de l’éternel. » Son Péguy de combat, dès lors, transcende son temps et apparaît comme un guide pour une époque déboussolée.
Jean Sévillia, Le Figaro magazine, samedi 30 juin 2007