essayiste brillant dont la liberté de ton et d’esprit alliée à une grande rigueur intellectuelle, et surtout cet humour cinglant qu’il sait effacer brusquement pour un geste de tendresse – lui ont valu un commencement de réputation.
Chroniqueur remarqué au Figaro Littéraire et à Art press (et chez les provinciales), son travail pour le théâtre n’est pas une fantaisie de jeunesse, mais il a choisi cet art majeur pour forger son métier et sa langue en travaillant avec les acteurs sur de la parole publique, et pour se confronter authentiquement aux grandes questions et aux désordres de notre temps.
Le fin critique Bruno de Cessole, qui trouvait dans son premier livre (1999 ) « autant de sensibilité et de pénétration, d’humour et de talent » avait justement remarqué : « L’incongruité de Fabrice Hadjadj tient à son goût pour l’incarnation. Au lieu d’épiloguer sèchement sur des idées et des concepts, il préfère montrer de nouveaux apôtres, hommes et femmes, aux prises avec les démons du siècle. »
A quoi sert de gagner le monde, une vie de saint François Xaviercommandée par les Jésuites pour le 450e anniversaire de sa mort (2002), a donc naturellement permis de faire connaître au théâtre ce « goût », cette « incongruité » largement appréciés à Paris et en province au cours d’une soixantaine de représentations, et dans trois mises en scènes successives jusqu’en 2005.
Le thème du Massacre créée en 2006 – la destruction des enfants de Bethléem par Hérode le grand, non juif établi sur le trône par l’occupant romain et qui se sent menacé par la naissance du « messie » et vrai Roi d’Israël – pouvait paraître plus austère… Le texte en effet est puissant et cru, le spectateur « acculé dans son fauteuil comme un boxeur dans les cordes » a quelquefois un peu de mal à « reprendre ses esprits » (François Huguenin, Famille chrétienne). Mais il y arrive ! car le texte est limpide et la pièce est bien équilibrée grâce à des scènes « plus légères », féminines, enfantines – et elle s’achève même par une étonnante et superbe scène d’anges-clowns…
Surtout, la cruauté du verbe et de l’histoire est merveilleusement humanisée par « trois comédiennes excellentes » (Jean-Luc Jeener, Le Figaro), qui chacune dans son genre habite ce texte avec passion et la hauteur de vue qui transforme ce tour de force dramatique en moment de jubilation.
La musique aussi joue un grand rôle, elle est le personnage invisible de l’Histoire, dont les échos poignants écrasent les différences d’époques. La mort des premiers nés d’Égypte, ce « pendant » de l’ancien Israël se retourne contre les Juifs : cela évoque bien sûr les horreurs indicibles de l’extermination, notre bref passé, on ne sait plus, tant la Shoah a brouillé les esprits, – mais les deux musiciens présents sur la scène apaisent avec beauté et tristesse ou exaltent tour à tour avec rage les sentiments que le texte proféré a suscité en vous ; par de courtes séquences qui agissent à merveille ils vous conduisent d’une scène à l’autre, gens de voyage, passeurs, avec leur violon, le violoncelle et le bandonéon.
La somptueuse pudeur du décor exécuté par le peintre Gérard Breuil (« le grand dépouillement cistercien et les audaces d’un Soulages ou d’un Rothko »), dont l’installation monumentale à la cathédrale Saint-Jean-Baptiste de Lyon a malheureusement été en partie décrochée — donne à cette troupe vivante la marque actuelle de l’éternité.
(Reconnaissons le aussi, le producteur est chic.)
Olivier Véron, Les provinciales.