Richard Millet est l’auteur de quelque quatre-vingts livres : romans, récits, essais … qui font de lui, pour ceux qui savent lire, l’un des plus grands écrivains de langue française vivants. (…)
Matthieu Falcone : Vous venez de publier deux récits, Tuer et Israël depuis Beaufort. On ne peut pas dire que la presse se soit précipitée pour en rendre compte. A quoi attribuez-vous ce quasi silence (même s’il faut relever quelques bons articles), quand il n’est pas remplacé par des articles haineux ? A leur propos dérangeant : la guerre, Israël, le catholicisme ? A la disgrâce dans laquelle vous tient la presse et une bonne partie du monde littéraire, l’ouvrage collectif qui vous est consacré aux éditions Pierre-Guillaume de Roux, apportant néanmoins la preuve que vous avez de vrais lecteurs et une œuvre reconnue ?
Richard Millet : La presse officielle a décidé depuis trois ans de ne plus me faire de publicité même en m’attaquant. C’est le cordon sanitaire. Il arrive que j’aie quelques articles dans Valeurs Actuelles mais c’est à peu près tout. (…) Je fais partie, avec Renaud Camus et quelques autres, des gens blacklistés comme on dit en Bretagne. Mais c’est un silence auquel on s’habitue et qui ne me gêne absolument pas. Je suis en guerre, il est donc normal que l’on me réponde par le silence, qui est une arme intéressante dans cette situation.(…)
M.F. : Vous écrivez encore : « Je suis du côté des faibles et des perdants de l’Histoire. » « Je n’aime pas les vainqueurs et (…) j’éprouve toujours une immense pitié pour les vaincus, les blessés, les condamnés à mort. » Est-ce votre catholicisme qui parle, sachant que vous l’évoquez largement dans ces deux derniers livres. Faut-il perdre contre le monde pour gagner l’autre ?
R.M. : Perdre avec le système des puissants, certainement. D’autres l’ont dit avant moi. On peut rapporter cela au catholicisme, bien sûr, mais c’est une attitude que j’ai depuis toujours. J’ai eu un rapport avec l’échec et le fait de rater volontairement un certain nombre de choses qui m’a toujours aidé. C’est un paradoxe qui se comprend. J’ai toujours été méfiant envers ce qui s’instaure et devient un système, notamment en littérature, en art, en musique, où on voit très bien à quoi cela mène. Même de très bons écrivains ont été tués par le succès, faute d’avoir consenti à se renouveler. L’héroïsme aussi a disparu, l’héroïsme au sens de l’aventure intérieure. Est-ce qu’une Simone Weil est encore possible aujourd’hui ? Oui, mais elle serait probablement mise à l’asile. Sa famille le demanderait, son cas serait psychologisé et l’on expliquerait que ce n’est pas de Dieu qu’elle s’inquiète mais qu’il s’agit certainement d’un problème d’Œdipe mal réglé. On lui proposerait de faire un petit séjour dans une clinique et des ateliers d’écriture, après quoi tout irait mieux. J’exagère à peine. On suggèrerait que le rapport au divin est de l’ordre de la névrose ou de l’hystérie. Et quand je dis que j’ai toujours aimé l’échec, je prends le risque de m’entendre dire que je ferais mieux de me faire soigner plutôt que d’entretenir ma psychose. En réalité, je pense que l’échec est un moteur. (…) Regardez les grands héros de l’âge de l’art, de la littérature, de la musique, ceux qui sont morts vieux comme Beethoven chez qui il y une troisième manière héroïque, alors qu’il était complètement sourd et n’écrivait plus que pour lui. C’est prodigieux. Il arrive un moment où vous rompez les amarres même avec votre propre public (…)
Richard Millet interrogé par Matthieu Falcone, www.culturemag.fr