« La guerre des Six Jours a connu sa flopée de commentaires. Presque tous les intellectuels, journalistes ou politiques d’envergure ont un jour partagé leur opinion sur le conflit israélo-arabe et donc, forcément, sur ce moment tournant.
Les années 60 et 70 ont connu un nombre incommensurable d’articles de presse et de livres abordant cette guerre et ses suites : sous ses divers aspects et à travers le regard de toutes les tendances [1] . Sont publiés à l’époque de nombreux ouvrages qui reflètent les visions politiques des intellectuels français sur le conflit : Marek Halter en a donné sa vision rêveuse dans Le Fou et les Rois (Albin Michel, 1976), Raymond Aron son approche politique dans De Gaulle, Israël et les juifs (Plon, 1968), Albert Memmi une version juive socialiste dans Juifs et Arabes (Gallimard, 1974), Maxime Rodinson l’approche marxiste antisioniste la plus élaborée dans Israël et le refus arabe. 75 ans d’histoire (Seuil, 1968), Paul Giniewski et Jacques Givet les versions juives sionistes les plus accomplies au contraire, mais aussi Robert Misrahi dans une approche historico-philosophique, Wladimir Rabi la vision alterjuive la plus remarquée, ou encore Pierre Démeron une version Contre Israël (Jean-Jacques Pauvert, 1968), Jean Baubérot une version romanesque, Martine Monod un reportage d’approche communiste, mais aussi Emmanuel Berl, Léon Poliakov, Claude Ranel, Jean Lacouture, Mahmoud Hussein, Nathan Weinstock … bref beaucoup de monde.
Voici aujourd’hui, aux éditions Les provinciales, la version — catholique sans doute — de Pierre Boutang (…) On y retrouve la pensée politique de Pierre Boutang sur Israël, la France, la guerre froide. Le philosophe, traducteur, poète et romancier est un inclassable. Maurassien et membre de l’Action française dans les années 30, il se démarque néanmoins de la pensée antisémite du mouvement. Royaliste puis gaulliste, il fut repéré par Vladimir Jankélévitch et ami d’Emmanuel Levinas. Les premiers textes de l’ouvrage soulignent la génération de Boutang. On voit dans son écriture, complexe, la marque des Giono, Aragon, Mauriac, Maritain, ces auteurs dont la façon d’écrire n’a pas d’équivalent aujourd’hui. Courts, les textes sont néanmoins denses et plutôt ésotériques. (…)
Mais la vision de Pierre Boutang est celle d’un homme proche d’Israël qui croit que la France a toujours eu un rôle à jouer au Proche-Orient et qu’elle le peut encore, si elle se tient à ses valeurs, ses grandes valeurs. Elle saura alors exercer un rôle plus juste selon lui qu’Américains et soviétiques à l’époque. Il faut lire Pierre Boutang pour comprendre que la politique française vis-à-vis d’Israël s’est depuis déplacée dans l’autre sens que celui qu’il souhaitait. »
Misha Uzan, Un Echo d’Israël, 31 mai 2011, texte intégral sur un-echo-israel.net
[1] Que j’ai eu la chance d’étudier en détail dans mon mémoire de fin de second cycle : Misha Uzan, Images d’Israël et compréhension du conflit israélo-arabe par les intellectuels français, 1967-1982, Paris : IEP, juin 2007, sous la direction de Jean-François Sirinelli. J’en donne un compte-rendu dans mon article « Israël et les intellectuels français, de 1967 à 1982 »