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Un texte, enfin, signé par soixante-seize personnalités, dont l’ancien premier ministre socialiste (2014-2016) Manuel Valls, le philosophe et ex-ministre de l’éducation (2002-2004) Luc Ferry, la démographe Michèle Tribalat, Philippe Val, l’ancien patron de Charlie-Hebdo. Mais aussi par Bat Ye’or, intellectuelle britannique, égérie de l’extrême droite post-11-Septembre, autrice du pamphlet Eurabia (Jean-Cyrille Godefroy, 2006). Dans ce livre, elle accuse les élites européennes de renoncer à leurs racines judéo-chrétiennes et de livrer leurs peuples à une nouvelle « dhimmitude ». Ou par Gilles-William Goldnadel, avocat médiatique proche de la droite la plus dure, voire de l’extrême droite. Me Goldnadel fut d’ailleurs le conseil de Bat Ye’or.
Intitulé « Ceux qui menacent Israël nous menacent aussi », le texte dénonce la couverture médiatique « surréaliste » du conflit qui renverrait « dos-à-dos les belligérants », mais aussi la dérive « islamo-gauchiste » de certains partis politiques. « Les tentatives d’excuser ou de justifier la violence islamiste qui serait la conséquence d’une juste colère des humiliés, des “spoliés”, des opprimés sont infondées et mensongères. (…) En affrontant la figure avancée de l’islamisme à Gaza, Israël contribue à la défaite d’un totalitarisme islamique qui sévit aussi sur notre territoire », peut-on ainsi lire.
Un « salon néoconservateur »
A l’origine de sa rédaction, l’avocate Caroline Valentin. Se présentant comme « orpheline politiquement », elle fut tour à tour socialiste puis sarkozyste. Aujourd’hui, elle estime « que la gauche a abandonné les gens qu’elle devait défendre et protéger ». Elle attend une personnalité politique qui « remette en cause l’oligarchie, le système » et qui « condamne les salaires maintenus à la baisse par l’immigration ».
Régulièrement, elle organise chez elle un « salon ». « On pourrait le qualifier de néoconservateur », explique le documentariste Michaël Prazan, signataire de la tribune. Lui, comme toutes les personnes contactées, affirme ne pas appartenir à ce « salon ». Mme Valentin reste obscure sur ses membres car, selon elle, « des journalistes mal intentionnés pourraient en déduire des accointances qui n’existent pas ». « Ce sont des réunions informelles, pas un organisme politique ou militant. Les gens qui viennent ne sont pas d’accord sur tout. Plein de signataires n’y viennent pas », indique-t-elle.
Reste que la tribune est née dans ce terreau. Mme Valentin : « Des gens que je connais se sont indignés du traitement réservé dans les médias [au conflit actuel]. Tous sont persuadés qu’il était important de comprendre que la guerre contre le Hamas est une guerre contre une officine islamiste, qui fait des centaines de milliers de victimes, notamment dans les pays musulmans. » Gilles-William Goldnadel affirme, de son côté, que le salon « a uni beaucoup de gens autour de cette pétition. Il m’arrive d’échanger avec eux, ils font un bon travail de réflexion ».
Mme Valentin ne voit pas le problème à avoir des personnalités clivantes comme Bat Ye’or ou Gilles-William Goldnadel parmi les signataires. « Cette question est un peu dérisoire, ce n’est pas parce que vous signez une tribune avec quelqu’un que l’on devient son double idéologique », tranche-t-elle.
La critique de la couverture médiatique
Manuel Valls confirme : « Je n’ai aucun problème à signer avec des gens avec qui je suis en désaccord. Les politiques de gauche présents mercredi au rassemblement des policiers sont d’accord avec Jordan Bardella ? » L’ex-chef du gouvernement a été approché par Luc Ferry et par la philosophe Renée Fregosi. « J’ai trouvé le texte de qualité, qu’il correspondait à ce qu’il fallait dire sur le conflit et sa lecture par la presse, détaille l’ancien candidat à la mairie de Barcelone. On m’a donné la liste des signataires. Je suis un ancien premier ministre, tout le monde connaît mes positions sur le conflit. » Pour M. Valls, « Israël est un allié stratégique » face à l’islamisme. Il poursuit : « Bernard-Henri Lévy a raison quand il dit que s’il y avait un Etat palestinien, ce serait un Etat terroriste. »
Beaucoup de signataires ont été convaincus par le double angle de la tribune, la critique de la couverture médiatique – ils visent notamment celle du Monde qui serait « indulgente » envers le Hamas – mais surtout sur le rôle de vigie qu’aurait Israël. « C’est ce qui m’a décidé de le signer, alors que je ne fais jamais ça, souligne Michaël Prazan. Aucune paix n’est possible avec le Hamas, cette idéologie est la même que celle de Daech [acronyme arabe de l’organisation Etat islamique]. »
L’ancien trotskiste Jean-Marie Brohm partage cette analyse. L’universitaire, connu pour sa critique radicale du sport et membre de l’Observatoire du décolonialisme, estime qu’il est fondamental de dénoncer « la gangrène islamiste ». Il concède qu’il n’aurait pas écrit la tribune de la même façon. « [Le premier ministre israélien] Benyamin Nétanyahou est un malade mental, il y a une extrême droite fascisante en Israël », souligne-t-il ainsi.
Autre personnalité qui n’était pas d’accord avec certains passages du texte : le philosophe Alain Finkielkraut. Il n’a pas signé, car les modifications qu’il avait proposées n’ont pas été retenues. « Je parlais de “fautes” et pas d’“erreurs”, ainsi que de la “provocation que constituait l’expulsion de familles palestiniennes”. Je mentionnais également la “complaisance pour l’extrême droite”, explique le coauteur du Nouveau désordre amoureux [Seuil, 1977]. J’aurais préféré une tribune moins inconditionnelle, plus équilibrée. »