À l’heure où les séduisants manuels de prêt-à-penser comme ceux de Shlomo Sand font les succès de librairie, le livre que l’historien Yoav Gelber, professeur à l’université de Haïfa, consacre à la guerre de 1948, survient comme un antidote salvateur.
Un antidote à la manie postmoderne, qui, sous prétexte de déconstruire les idéologies dominantes, a ruiné l’idée même de l’Histoire comme science : « La connaissance est devenue superfétatoire, ce qui importe désormais, c’est l’opinion et la théorie sur laquelle elle se fonde. », écrit Gelber, renvoyant dos à dos le narratif israélien (pour qui 1948 est une guerre d’indépendance, voire un miracle) et le narratif palestinien (pour qui 1948 est une nakba, une catastrophe).
L’auteur pose la question, puis laisse le patient travail historique apporter une réponse nuancée, à l’image de la complexité du réel.
Et s’il n’y a pas de vérité nue en Histoire, ni de faits bruts, mais seulement des lectures, des interprétations, il existe tout de même des procédés objectivants qui tendent à minimiser l’erreur et à se rapprocher de la vérité comme horizon : recoupement méthodique des sources officielles, journalistiques, étrangères, des témoignages, mise en perspective des faits dans leur propre contexte spatiotemporel et, à plus grande échelle, critique des narratifs et des mythes idéologiques. Autant de méthodes pratiquées avec brio par Gelber.
Il évite toutefois l’écueil du scientisme. En effet, il admet la révision historique et a pleinement conscience que les conceptions de la science historique et, avec elles, sa pratique, varient sans cesser pour autant d’« être soumises aux règles s’appliquant aux preuves et aux témoignages », surtout lorsque l’Histoire est aux prises directes et immédiates avec la plus brûlante actualité, comme c’est le cas de l’histoire du conflit israélo-palestinien.
Ni victimes innocentes, ni coupables sanguinaires
Car les recherches sur le sujet ne restent pas dans les poussiéreuses bibliothèques ; elles sont l’occasion de motions onusiennes, de demandes de réparations, de condamnations internationales et autres manifestations. A ce jeu-là, « l’ignorance est le terrain fertile sur lequel se déchaînent la haine et la diabolisation d’Israël. »
Le professeur Gelber en fait la démonstration avec notamment le cas du « massacre de Tantura », du nom de ce village arabe déserté durant la guerre et conquis par Israël en faisant quelques dizaines de morts (toujours trop).
Cas qu’un jeune historien israélien postsioniste, dirigé par Ilan Pappé, s’est mis en tête de déterrer comme le plus grand massacre de Palestiniens commis par Israël (plusieurs centaines selon ses dires).
Gelber détruit pas à pas – sources palestiniennes, militaires, et arabes à l’appui – ce montage qui n’a d’historique que le nom et dont l’objectif à peine voilé est de caresser le politiquement correct dans le sens du poil, tout autant que de faire le lit du manichéisme (les gentils/les méchants, le Bien/le Mal).
Walter Benjamin prônait une histoire « à rebrousse-poil » racontée du côté des vaincus. A sa façon, Yoav Gelber respecte l’injonction « benjaminienne », en rendant justice aux vaincus : ni victimes innocentes, ni coupables sanguinaires, les Palestiniens ont été, et sont encore, les victimes, principalement, « de leur propre agressivité, ainsi que de l’impéritie de leurs alliés arabes ».
Quant à Israël, Gelber pointe sans concession ses erreurs et fautes, son réalisme politique, ses stratégies militaires parfois étonnamment stériles. Un livre ardu, exigeant, dont on ressort moins ignorant, ébranlé dans ses certitudes et préjugés.
Noémie Benchimol, The Jerusalem Post, 9 octobre 2013