Olivier Véron et les éditions Les provinciales ont l’excellente idée de nous permettre de lire Theodor Haecker en français, qui plus est dans une édition de toute beauté. La couverture de l’ouvrage, formée par une encre de Gérard Breuil, étant une œuvre d’art à elle seule. Haecker est un peu oublié aujourd’hui, à tort. Dans les années 1920 et 1930, le penseur chrétien débattait avec les principaux philosophes de son temps, Heidegger, Jaspers, Ritter ou Husserl. Le débat avec un Heidegger, par exemple, fut particulièrement vif puisque c’est à l’encontre de Haecker qu’Heidegger nia la possibilité pour une philosophie d’être chrétienne. Le penseur de l’Être a cependant fini par demander des sacrements et un enterrement catholiques, peu avant sa mort, ce que sa femme, laquelle était aux petits soins, organisa avec joie. Cela démontre par l’expérience que philosopher – ou apprendre à mourir – gagne à se vivre en christianisme. Un penseur important dans son temps, donc. Mais Haecker est aussi un philosophe important pour aujourd’hui. De par la nature de ses engagements humains, contre le nazisme et auprès des jeunes résistants allemands de la « rose blanche ». Il était un peu le maître à penser de Sophie Scholl, de son frère et de leurs amis, et leur faisait la lecture de son travail. Une pensée vraiment antitotalitaire, parce que chrétienne. On est loin du prétendu « antiracisme » à la mode. Un livre pour maintenant, parce que, ainsi que l’indique avec force Olivier Véron en quatrième de couverture de cette superbe édition, « il ouvre la voie pour que dans ce pays une Antigone allemande se sentant l’âme d’une jeune fille juive ose un jour se mesurer à la radicalité des événements ». La réédition d’un tel livre n’est jamais un hasard. Le chrétien et l’histoire cherche, aujourd’hui, et pour des raisons proches, une autre Antigone. Qu’il puisse être lu est le début d’un espoir.
Mathieu de Guillebon, L’Homme Nouveau n° 1387 du 20 janvier 2007.