« Qui connaît encore aujourd’hui le nom de Pierre Boutang ? Il fait partie de ces intellectuels français largement oubliés par notre époque frivole et futile. Philosophe, poète et traducteur, ce royaliste qui refusa tout antisémitisme fut admiré par Lévinas (auquel il succéda à la chaire de métaphysique de la Sorbonne) et par Georges Steiner. Auteur de quelques romans et de très nombreux essais, traducteur de Platon, Boutang (1916-1998) occupe place originale dans le paysage intellectuel et politique français au vingtième siècle. Rien que pour cela, l’initiative des éditions "Les provinciales" mériterait d’être saluée. »
« Mais la publication sous forme de petit livre – au contenu dense et d’une grande richesse – de ses articles publiés entre mai et juillet 1967, dans La Nation française – qu’il avait fondée en 1955 – présente un intérêt non seulement historique mais très actuel ; on y découvre en effet un regard extrêmement lucide sur les événements et sur les rapports entre Israël, l’Europe et les grandes puissances. Ces textes sont bien, comme l’écrit l’éditeur dans sa présentation, « plus neufs ce matin que notre journal d’hier ».
« L’idée d’un règlement pacifique durable, sans vainqueur ni vaincu, dans le Proche-Orient, est la plus aveugle et folle chimère. La raison d’être de la ’nation arabe’ ; c’est la destruction d’Israël ». « Celle idée d’orientaliser Israël, d’en faire un peuple parmi les autres dans une aire de civilisation arrêtée ou ralentie, est la plus folle »…
Ces lignes écrites en mai 1967 n’ont rien perdu de leur pertinence. Mais au·delà même de la grande lucidité et de la finesse d’analyse avec laquelle Boulang commente la politique internationale, en direct – puisqu’il s’agit de chroniques contemporaines des événements – on trouve dans ces textes l’esquisse d’une réflexion qui va bien plus loin que l’actualité brûlante de la guerre des Six Jours et permet de mieux comprendre certaines des questions les plus complexes touchant aux rapports entre Israël et l’Occident, qui constituent en quelque sorte la trame invisible de la réflexion de l’auteur.
Ainsi, évoquant les réactions exprimées par Pierre Vidal·Naquet, ce « marxiste intelligent (de tradition, sinon de confession juive) », qui exprimait ses « sentiments contradictoires » face aux menaces de destruction planant sur Israël, partagé entre ses convictions antisionistes et un reste de fidélité à ses origines, Boutang témoigne n’avoir quant à lui « éprouvé aucun sentiment contradictoire » mais « quelque pitié pour le déchirement ou l’impatience produits chez ce Juif français par les sons du Choffar devant le Mur des Lamentations » … Et il conclut que « Vidal·Naquet est victime d’un déterminisme auquel peu de Juifs de la diaspora, dans la classe intellectuelle pénétrée de marxisme, peuvent échapper … »
Catholique philosémite contre Juif marxiste…
A cet égard, la situation actuelle ressemble à celle décrite par Boutang il y a 44 ans. Le regard que le catholique ami d’Israël porte sur notre région est empreint d’une plus grande lucidité et d’une plus grande empathie pour l’État hébreu que celui du Juif marxiste. Pourquoi ? Parce qu’il a compris « qu’Israël renouait avec la même histoire, aliénée ou endormie en lui ; il a retrouvé David, la pierre et la fronde… » .
Ainsi, si pour l’auteur Israël est l’Europe, il ne s’agit certainement pas de cette Europe déchristianisée et vidée de son âme qui se construit avec le Traité de Rome (que Boutang décrit avec une ironie cruelle), cette Europe qui préfigure déjà notre Eurabia actuelle ; il s’agit au contraire d’une Europe avec ses racines judéo-chrétiennes, et portant ainsi sur Israël un regard plein d’attention et d’espérance.
La publication de ce petit livre éclairant est l’occasion de saluer le travail des « Éditions les provinciales » qui, loin du conformisme parisien et du tumulte médiatique, accomplissent un travail utile et s’inscrivent dans la tradition humaniste européenne et française profondément judéophile, en faisant entendre leur voix avec force et justesse au milieu du concert de la « nouvelle judéophobie ».
Il n’est pas anodin que ce éditeur courageux ait publié, coup coup, des auteurs aussi importants et politiquement incorrects que Pierre André Taguieff (Israël et la question juive) ou Bat Ye’or (L’Europe et spectre du califat). Un éditeur et un livre à découvrir de toute urgence ! »
Pierre Itshak Lurçat, Israël Magazine août 2011.