Pierre Magnard, Les provinciales : « Apologie de l’écriture (en contrepoint au livre d’Henri Du Buit). »

Le nouveau livre d’Henri Du Buit relève de la provocation, comme les deux précédents, provocation à sortir de notre torpeur, pour essayer enfin de penser librement et d’agir. La ligne d’attaque est toujours la même, un procès de l’écriture. Tu n’écriras pas mon nom (2007) s’interrogeait sur l’omniprésence de l’écriture dans notre civilisation  : n’est-ce pas elle qui fixe la loi et en fait la rigueur, qui impose le règne de la bureaucratie, qui rend possible l’institution bancaire et l’usage du crédit ? Une complicité apparaissait entre l’écriture et l’argent. Aussitôt dénoncée, cette connivence jette un soupçon sur l’innocence présumée de l’écriture, qui semble avoir alors parti lié avec le souci de posséder, mais aussi d’exiger, de dominer et de sanctionner. Le dernier essai, L’Être et l’Argent, va tenter de dénouer cet écheveau, l’humeur manifestée dans les deux précédents ouvrages cédant à la mesure de l’analyste. Le procès de l’écriture s’inscrit dans la plus noble tradition ; il remonte à Platon qui, dans le Phèdre, montre la supériorité de l’enseignement parlé sur l’enseignement écrit, celui-ci n’étant que le « simulacre » de celui-là et faisant la preuve de sa faiblesse, « ses propos étant impuissants à se porter secours à eux-mêmes » (276 c). Un texte « écrit sur de l’eau, semé dans une eau noire, au moyen d’un roseau », reste lettre morte, au lieu que celui qui aura été semé dans une « âme appropriée » verra sa semence lever et porter beaucoup de fruits (276 e). (Suite ici.)

Pierre Magnard, Les provinciales (lettre) n°83, du 2 mai 2011.