Dans la tête du diable
Aussi protéiforme qu’obsessionnel, fixé sur sa cible dont il ne se défait pas et qu’il poursuit partout, l’antisémitisme réclame-t-il une philosophie ? Car c’est sous ce titre bien étrange que Michaël Bar-Zvi choisit d’analyser cette lèpre mentale millénaire, déclenchant la haine de ceux qu’elle frappe envers un peuple quoiqu’il arrive désigné tel une menace ; que celui-ci reste fidèle à ses traditions ou qu’il s’en éloigne, qu’il se sépare ou qu’il s’assimile. En disciple de Pierre Boutang, Bar-Zvi n’élucide pas le mystère noir qui agite l’antisémite, et quand son maître définit par une ascension oblique l’ontologie du secret, lui parcourt le chemin diabolique de ce qu’il faudrait, avec Pierre-André Taguieff, appeler plus justement la judéophobie. Sans chercher donc une réponse, Michaël Bar-Zvi montre que c’est par ses manifestations que l’antisémite se définit et qu’il s’y réduit, qu’il incarne une espèce de contre-mystère, d’anti-secret, et par là le refus radical de toute origine. Ainsi, une philosophie de l’antisémitisme entend d’abord décrire une perspective phénoménologique, celle de l’antisémite, orpheline à la fois de toute métaphysique préalable et de but autre que celui de se confondre avec sa propre haine, pour enfin y disparaître. Contre Sartre qui n’y voyait qu’une reflet, c’est l’antisémitisme dans son absence d’être et de réflexion – dans tous les sens du terme – que Bar-Zvi, avec ce livre majeur, scrute en face.
Rémi Lélian, L’Incorrect n°26, décembre 2019.
Voir également « Top 5 essais » de L’Incorrect, par Rémi Lélian, 7 janvier 2020.