Dix ans après l’affaire qui porta son nom et le destitua de son siège d’éditeur vedette de Gallimard et de maître de la littérature contemporaine, Richard Millet revient avec un livre qu’il présente comme son dernier, La Forteresse…
Le milieu médiatisé-littéraire français aura donc exécuté la sentence prononcée par Annie Ernaux à l’automne 2012, quand elle lançait une pétition pour exiger de la part d’Antoine Gallimard l’éviction de Richard Millet, et réduit, après dix ans d’obstacles, l’un des meilleurs écrivains français au silence. La même Annie Ernaux, en 2017, se fendait d’une nouvelle pétition dans Le Monde, mais cette fois-ci pour prendre la défense d’Houria Bouteldja, la passionaria racialiste qui considère qu’on ne peut pas « être Israélien innocemment ». C’est qu’Ernaux est comme Goebbels, c’est elle qui décide qui est fasciste. En cette rentrée, un silence concerté accueille, comme depuis une décennie tous ses ouvrages, le livre de Richard Millet accusé d’avoir osé l’éloge d’Anders breivik, le tueur d’Utoya, en raison du titre provoquant d’un de ses livres, et quoique cet éloge, il ne l’ait jamais fait. Les lumières sont en revanche braquées sur Virginie Despentes, qui, en janvier 2015, déclarait tranquillement dans Les Inrocks son amour pour les tueurs de Charlie Hebdo. Il est donc évident que les raisons de cette exécution sociale ont peu à voir avec la morale, simple prétexte qui fut sans doute utilisé pour abattre la statue du Commandeur des lettres françaises qui ne cessait d’annoncer, depuis sa haute position d’alors, leur décès pour cause de médiocrité.
Dans La Forteresse, Richard Millet déploie à nouveau le meilleur de son art, évoquant son enfance, sa naissance à la littérature, à la musique et à la sensualité, l’intransigeance cruelle de son père, son enfermement autistique et les différents lieux – la Corrèze, le Liban et Paris – qui constitueront sa vision du monde et sa sensibilité par contrastes et combinaison de mémoires diverses. Repris plusieurs fois comme s’il répondait à une nécessité forte mais particulièrement douloureuse, le récit est mis en scène dans une atmosphère crépusculaire sublime et atteint parfois, outre des morceaux de bravoure stylistiques, des degrés de sincérité déchirants. C’est évidemment l’un des meilleurs livres de cette rentrée littéraire dont il accentue encore, par comparaison, le niveau atterrant. Rencontre avec un maître et un maudit.
Romaric Sangars
suivent les propos de Richard Millet recueillis par Romaric Sangars dans « Richard Millet, le survivant », L’Incorrect n°56, septembre 2022.