Huit ans après un bel essai consacré à Dominique de Roux, Rémi Soulié paye son tribut à Charles Péguy
Les essais de Rémi Soulié sont une grâce. Qu’il s’attache aux pas de Dominique de Roux, de Louis Aragon ou de Charles Péguy, ce garçon a une façon de se mettre à l’écoute de ses héros qui ne laisse pas d’enchanter. Certains fâcheux feront remarquer qu’il cite beaucoup (…) « Excusez cette abondance de citations, déclarait l’auteur des Amis neufs du président Mao, Simon Leys, il ne s’agit pas là d’une pédanterie ; simplement il se fait que, ces quinze dernières années, j’ai fréquenté les livres plutôt que les gens ; et puis, à quoi bon réinventer maladroitement ce que de bons écrivains ont mieux dit avant nous ? » On imagine volontiers Rémi Soulié recourir aux mêmes arguments pour éclairer cette façon qu’a sa forte pensée de voler d’une phrase de Léon Bloy à un fragment de Martin Heidegger, en passant par des mots choisis de Bernard Lazare et de Urs von Balthazar.
Rémi Soulié prend la suite d’une lignée de grands lecteurs qui va de Thibaudet à Simon Leys, en passant par Thierry Maulnier, Gustave Thibon et René Girard. Avec George Steiner, il ne veut pas envisager un texte autrement que comme « une présence vivante dont la vitalité continue, l’éclat et le rayonnement dépendent d’un commerce actif avec le lecteur. » Pour venger Péguy ; notre ami a donc repris les quatre volumes de la Pléiade et les a relus crayon en main, répondant point par point aux calomniateurs. Non, Péguy ne s’est jamais voulu le chantre de la France moisie ; non, Péguy n’a pas touillé la méchante sauce de l’idéologie française ; non, Péguy n’avait pas les mêmes moustaches que le maréchal Pétain ; non, Péguy n’a jamais eu sa carte au Front national. Jean Dutourd a raconté qu’il était allé un jour visiter Georges Bernanos de passage à Paris en 1946 et qu’il lui avait servi les calomnies habituelles visant le poète des châteaux de la Loire. La vaisseile a tremblé. Après ce jour, plus jamais Dutour n’a eu un mot contre Péguy.
Une fois Péguy de combat refermé, on veut croire que ce sera le cas de tous les lecteurs de cet essai stimulant. Dans le sillage de Péguy sur les bords de la Loire, en Parisis, dans la Beauce, en Lorraine et dans la Brie, où l’écrivain a été tué d’une balle dans le front le 5 septembre 1914, Rémi Soulié reprend en détail le dossier d’accusation pour le mettre en pièces. Il justifie l’auteur du Mystère de la charité de Jeanne d’Arc en le replaçant dans son histoire et surtout dans sa géographie. « Péguy est l’écrivain qui a un pays ». Voilà donc son grand crime aux yeux des modernes : né ici et pas ailleurs, héritier d’une histoire et d’un nom. La relaxe est demandée.
Sébastien Lapaque, L’Opinion indépendante* n°2782, du vendredi 27 juillet 2007 (Toulouse)
* Le même numéro comporte aussi un entretien de Christian Authier avec Rémi Soulié au sujet de Péguy