En 1949, l’État d’Israël est créé. Ne discutons pas ici la longue série des causes et des décisions, dans le cadre d’une incarnation permanente. Constatons qu’un État juif, désormais, est constitué là où Abraham avait écouté Dieu. Paul Claudel salue aussitôt cet avènement avec des paroles inspirées : « À la fin du dernier Livre des Rois, Jérusalem incendiée et détruite, sont-ce des survivants ou des pillards ?… on voit çà et là, répandus à travers les ruines, des hommes, des femmes, des enfants, qu’est-ce qu’ils font ? L’Écriture nous dit qu’ils passent les cendres au tamis. » Mais Jérusalem, à nouveau, est à Israël, nation dont les enfants, par milliers, sont devenus « flocons de suie humaine répartis par les quatre vents ». Claudel réclame d’ailleurs qu’Israël aille au bout de cette nouvelle incarnation et se convertisse. Le texte est superbe pour qui est sensible à la manière dont l’écrivain convoque l’Ancien et le Nouveau Testaments au chevet de cette nouvelle nation, à l’heure où les nations étaient déjà mises en accusation par ceux qui organisaient le mondialisme à venir.
Pour ceux qui seraient tentés de considérer que Claudel était fêlé, Fabrice Hadjadj, dans sa postface, cite son Journal, au 21 mai 1935 : « Discours de Hitler. Il se crée au centre de l’Europe une espèce d’islamisme, une communauté qui fait de la conquête une espèce de devoir religieux. » Cette postface, qui brasse beaucoup d’idées et tend à faire d’Israël un signe divin qui surpasse tous les autres (discours religieux désarçonnant et qui paraît forcer le texte de Claudel), se termine par un éloge du véritable humanisme et du sionisme auquel tous les nationalistes ne peuvent qu’être sensibles, surtout en ces temps où le pape n’entend guère s’appuyer sur les nations : non pas tant parce que le sionisme est fondamentalement exclusif, fondé sur le revendication d’une seule ethnie, ce qui est tout sauf maurrassien, mais surtout parce qu’aujourd’hui le sionisme est une méthode pour définir un territoire, un peuple, une langue, inscrire ces définitions dans le réel et préserver le réel ainsi façonné. « En vérité l’homme n’est singulier qu’en tant qu’il est la fine pointe et la figure vive d’une histoire assumée. Son unicité réelle n’apparaît qu’au sommet d’une pyramide d’appartenances. Son originalité n’est que dans le libre redéploiement d’une origine complexe » : voilà qui paraît admirablement décrire ce pour quoi nous voulons être Français sans considérer la France comme une pure géographie. Surtout si la France est un royaume, où le roi porte la main de justice. C’est là que Sion est un exemple : « En tant que terre donnée par la parole de Dieu, Israël empêche chaque nation de se fermer sur elle-même en lui rappelant que son territoire est aussi un don avant d’être un terroir ou une propriété, et que ce don y est toujours suspendu à la justice qui s’y établit. »