« Werner, un Allemand. Françoise, une Française. Ils se rencontrent à la terrasse d’un café à Athènes, dans les années 1960. Tous deux ont vécu un véritable drame, la perte d’un être cher, pendant la Seconde Guerre mondiale. L’un ne voyait rien, ne voulait sans doute pas voir, l’autre ne voyait que cela : les atrocités, l’injustice, la dictature. La pièce de Charlotte Delbo, quasi autobiographique – c’est elle, Françoise – aborde la vie « après ». Comment passer à autre chose lorsque l’on a connu Auschwitz ? Comment se débarrasser de ce sentiment de culpabilité lorsque l’on a été officier de la Wehrmacht sous le commandement d’Hitler ? Comment se satisfaire de la victoire du « bien » quand le « mal » et la monstruosité humaine ont été si grands ? Écrite en 1967, la pièce de Charlotte Delbo était restée inédite jusqu’à ce jour. »
Extrait :
« WERNER : Il y avait peu de professeurs dans les sections spéciales. Il reste au moins cet honneur à notre corps.
FRANÇOISE : Vous avez cependant prêté serment au régime hitlérien, tous. On pouvait difficilement s’en abstenir, direz-vous. Mais si tous…
WERNER : À quoi cela aurait-il servi, hélas ?
FRANÇOISE : Oui, je sais cela aussi : à quoi cela servira-t-il ? Et de petite lâcheté en petit renoncement, on laisse s’instaurer la brutalité, l’injustice, puis la tyrannie et le crime. On se fait esclave.
WERNER : Oui. Esclaves et complices. Je vous l’ai dit, tous les Allemands sont coupables. Pourtant, si vous admettez des degrés dans la culpabilité : tous n’ont pas été SS. »
Charlotte Delbo, Ceux qui avaient choisi, Les provinciales, 84 pages, 10 €
Violaine Bouchard, L’Avant-scène théâtre, n°1334, 1er décembre 2012