Journal 2011-2019

Tome V

par Richard Millet

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608 pages, 32 €


Le texte sur Breivik fait scandale. L’a-t-on vraiment lu, ou bien est-ce le seul titre qu’on prend au pied de la lettre ? Difficiles entretiens avec des journalistes norvégiens, qui font suite aux articles du Nouvel Observateur, Garcin en tête, Même le Point, inattendu, s’y met, et non pas BHL, qui m’avait traité de « phalangiste » à propos de la Confession négative, révélant sa méconnaissance de la guerre du Liban. La gent folliculaire se déchaîne : le milieu a donné le signal de la chasse à coure. Hypocrite journaleux de l’Obs au téléphone. Gallimard me protégera-t-il ? J’en doute : difficile de croire qu’un laquais comme Garcin ait agi de son propre chef. Trop d’ennemis, surtout chez Gallimard. En vérité, je suis déjà ailleurs (ai toujours été ailleurs). On dit que je cherche le scandale : c’est la vérité qui fait scandale, aujourd’hui, car quotidiennement blessée.

Voilà cinquante ans que les bobos jouent à (se) faire peur avec l’« extrême droite », aveugles au monde, surtout à l’immigration et à l’islamisation de l’Europe, méprisant autrui, soucieux de se reproduire dans un système qui a fait du mensonge une qualité morale.

Écrivains : ils veulent tous le pouvoir ; moi, je me retire dans l’opprobre et la solitude pour accéder au vrai pouvoir : celui des pauvres.

La plainte n’est que l’actualisation d’un point de vue sur soi-même dont on tâche de s’excepter. Il faut la détacher de la pleurnicherie, du gémissement. D’où le recours au récit pour la muer en autre chose, silence ou chant.

Ma condamnation des crimes commis par Breivik est sans ambiguïté. S’il y a quelque chose de dérisoirement littéraire dans le cas de Breivik, c’est non seulement qu’il s’est lui-même présenté comme écrivain à son procès mais surtout ce que son cas révèle de la décadence intellectuelle, politique et spirituelle de l’Europe dont la littérature était le lien le plus communément admis: Breivik est un écrivain par défaut, ai-je dit; il est surtout le symptôme démoniaque de ce que produisent nos sociétés…

On m’assigne un rôle d’imprécateur pour ne pas entendre ce que je dis.

Ne confonds pas le sentiment de ta propre fin (l’angoisse de la mort) et celui de la civilisation qui s’achève.

Richard Millet
Journal, 2011-2019, tome V.

• Le précédent volume du Journal, 2003-2011, tome IV, a été publié en 2023 :


« Vous avez un style – et le style, c’est la vérité de la pensée. Vous êtes un de ceux qui nous permettent de rester debout. Votre style est comme la roche sous les doigts du grimpeur : il en tire sa force. »

Pierre Magnard

 

 

« Richard Millet n’a pas appelé au meurtre de ses concitoyens, comme Jean-Paul Sartre dans sa préface aux Damnés de la terre de Frantz Fanon… Il n’a pas plaidé pour la destruction d’Israël en l’accusant d’apartheid ou pire encore… Il n’a pas sombré dans l’abjection raciste de Céline… Richard Millet n’a pas applaudi non plus, à l’instar d’Edwy Plenel, aux assassinats de onze athlètes israéliens par l’organisation terroriste Septembre noir, aux jeux Olympiques de Munich en 1972. Il n’a pas fait, comme Philippe Sollers et tant d’autres, l’éloge du régime criminel de Mao qui a tué quelque soixante-dix millions de Chinois. Il n’a pas sombré dans la honte stalinienne comme Louis Aragon, mon poète préféré… Il n’a pas signé en 1977 dans Le Monde, des pétitions en faveur de la pédophilie, comme le même Aragon, Jean-Paul Sartre encore, Simone de Beauvoir, Roland Barthes, Gilles Deleuze, Philippe Sollers, Bernard Kouchner et tutti quanti. Ces gens-là n’ont jamais eu de comptes à rendre pour toutes les insanités qu’ils ont signées ou proférées… Quand on se penche sur le cas de Richard Millet, somptueux romancier, on ne peut trouver que disproportionné sinon absurde l’opprobre dont il est accablé. Serait-ce à lui de payer pour les autres ? »

Franz-Olivier Giesbert
« Un silence de mort ».