Traité d’harmonie littéraire
par Ghislain Chaufour
224 pages, 20 €
Depuis Descartes, ce que l’on appelle l’Occident n’a plus mis sa fierté dans ce qu’il était. Le mythe, la parole naturelle (et surnaturelle), la fable ne séparaient aucunement l’intelligible du sensible, ne rompaient pas avec la compagnie des « créations » matérielles singulières, ne prétendaient pas à la connaissance des « essences »… Mais depuis lors, l’abstraction conceptuelle avec sa brutalité, son efficacité et son ingratitude s’est lancée dans la quête exclusive de certitude à l’intérieur de l’âme humaine isolée des choses et des arts, isolée des vérités communes, isolée même de sa propre histoire. En répudiant le sensible elle réprouvait la Création et les créations singulières comme les parties honteuses de Dieu. Les mathématiques devinrent la forme unique de cette « science » quasi divinisée, dont les illuminations désormais serviraient de socle de la culture commune. L’espoir de saisir ultimement l’énergie initiale permettrait d’entretenir chez les hommes tous leurs souhaits ridicules.
C’est cet édifice que l’effondrement de la certitude dans la théorie scientifique a touché de plein fouet : en pleine gloire, dans l’ascension du « progrès », la science reçut la nouvelle de son propre naufrage (misère humaine impossible à juguler, retour au principe d’incertitude). Le « naturel » parut reprendre un peu ses droits, mais dans un désordre manifeste effrayant. C’est que le processus scientifique a corrompu notre relation au langage, donc notre relation au monde : l’élimination du sensible, sa relégation dans le trompe l’œil était fausse et ne pouvait pas se vivre.
Ghislain Chaufour entreprend de déjouer cette tromperie et d’arrêter cette perdition. Dégagé des formes sublimes auxquelles s’employaient les meilleurs esprits depuis toujours, le langage est tombé dans le trivial, le démotique. La dévaluation des récits capables de transmettre les réalités singulières et d’en communiquer les vertus a rendu impotente et désespérée notre civilisation. Refuser le formalisme littéraire, retrouver la vérité du langage, ses rudesses, ses beautés et sa puissance salutaire est le but de cet authentique, nécessaire et réjouissant Traité d’harmonie littéraire.
Né en 1950, essayiste et romancier, éditeur et traducteur, collaborateur de la nrf pendant une dizaine d’années (1980-1990, critique littéraire et philosophie), puis dans d’autres revues (La Revue littéraire, brièvement dirigée par Richard Millet, etc.), Ghislain Chaufour a publié des récits et des essais de critique littéraire, notamment « Cinq pièces faciles » pour un Francis Ponge (Le Temps qu’il fait, 1990) ; Candide antérot. Voltaire commenté à partir des vingt-six « images à Candide » de Paul Klee (Les provinciales, 2009) ; Paris-Jérusalem. Un itinéraire spirituel. Entretiens avec Augustin Czartorisky (Les provinciales, 2014). Professeur de philosophie, il a d’abord été l’élève de Pierre Boutang (auquel le présent livre est dédié), et vient de publier une magistrale édition très savamment annotée de son Purgatoire (Les provinciales, 2021). Il a également édité La Chanson de Rollant, de Turolde (La Différence, coll. « Orphée », 1994) ; Divers jeux rustiques, de Joachim du Bellay (Gallimard, coll. « Poésie », 1996) et Vingt-cinq Psaumes pénitentiels de David, traduits par Blaise de Vigenère (La Différence, coll. « Orphée », 1989), ainsi que plusieurs traductions d’Ezra Pound : Le Caractère écrit chinois, matériau poétique (L’Herne, 1972, avec E. Fenollosa) ; Traité d’harmonie (« Exil » n°2, 1974) ; Derniers chants (L’Énergumène, 1983) ; Poèmes suivis de Hommage à Sextus Propertius (Gallimard, coll. « Du monde entier », 1985).
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